À l’angle des rues D’Aiguillon et Saint-Augustin se dresse un bâtiment qui, au premier coup d’œil, s’apparente quelque peu à une église par ses formes. S’il a effectivement servi un temps au culte à la fin du XXe siècle, il a d’abord été construit pour instruire les enfants de la communauté anglicane de Saint-Jean-Baptiste. Je vous propose de retracer l’histoire de ce lieu au passé méconnu.

Dans la première moitié du XIXe siècle, les législateurs s’efforcent d’implanter un système scolaire cohérent et durable au Bas-Canada (Québec). Cet embryon de réseau public, qui se structure à Québec autour des commissions scolaires confessionnelles à partir de 1846, côtoie alors un ensemble d’écoles privées. C’est notamment le cas dans la communauté protestante de Québec. Vers 1870, un nouvel établissement privé apparaît à l’angle des rues D’Aiguillon et Saint-Augustin. Il accueille plus d’une institution puisque l’école secondaire St-Peter[1] et l’école du dimanche St-Matthew, qui relève de l’église du même nom, y dispensent leurs cours[2]. La fermeture de l’école St-Peter en 1875 coïncide avec la fondation par la commission scolaire protestante de l’école publique St-Matthew, un établissement primaire pour filles[3].

Extrait du rapport de l’inspecteur M. M. Fothergill pour l’année scolaire 1876-1877 portant sur l’école St-Matthew. Il y est notamment question de l’aménagement des lieux, de la clientèle scolaire et du travail des enseignantes. Tiré de Québec (province), département de l’Instruction publique, Rapport du surintendant de l’Instruction publique de la province de Québec pour l’année 1876-1877, Québec, Charles-François Langlois, p. 110

Qu’en est-il du bâtiment? En 1871, un contrat est conclu entre Charles Hamilton, le futur recteur de la paroisse anglicane de St-Matthew[4], et les entrepreneurs Henry et Andrew Hatch afin de construire une nouvelle école selon les plans de William Tutin Thomas. La physionomie du bâtiment qui apparaît dans ces plans correspond à celle de l’immeuble actuel. L’influence du style néo-Tudor, qui renvoie à l’architecture de la Renaissance anglaise, est apparente dans l’ornementation. À l’intérieur, l’espace est divisé en un rez-de-chaussée destiné à la mission scolaire et un étage restreint servant probablement de logement[5]. Dans son dossier sur l’école St-Matthew, la Ville de Québec ne tient pas compte du document de 1871. Elle se fonde plutôt sur une entente négociée en 1877 entre la commission scolaire protestante et les entrepreneurs Hatch et qui prévoit la construction d’une école sur la rue Saint-Augustin. Cet acte notarié indique cependant que le terrain se trouve dans le quartier Montcalm (Montcalm Ward)[6] et non dans le faubourg Saint-Jean. De plus, la date du contrat et l’emplacement de l’établissement correspondent davantage à la construction du Girls’ High School, qui ouvre ses portes l’année suivante. On doit en conclure que le bâtiment sis à l’angle des rues D’Aiguillon et Saint-Augustin est édifié en 1871[7].

[Plan de l'école St-Matthew], 1871, [William T. Thomas], BAnQ, Fonds Cour supérieure. District judiciaire de Qc. Greffes de notaires, CN 301, S290, D5017A

Plan de l’école St-Matthew figurant en annexe du contrat signé en 1871. À n’en point douter, il s’agit du bâtiment actuel. On aperçoit la signature des parties ainsi que celle du notaire Henry Charles Austin à l’endos du document. ([Plan de l’école St-Matthew], 1871, [William T. Thomas?], BAnQ, Fonds Cour supérieure. District judiciaire de Québec. Greffes de notaires, CN 301, S290, D5017A)

Plan des divisions intérieures de l’école par étage, 1871. (Sketch for School House, [William T. Thomas?], 1871, BAnQ, Fonds Cour supérieure. District judiciaire de Québec. Greffes de notaires, CN 301, S290, D5017B)

Intérieur de l’école St-Matthew vers 1990. Elle loge alors la chapelle de l’Église Adventiste du 7e jour. Tiré de « 804 rue D’Aiguillon », Documents historiques numériques, Archives de la Ville de Québec, non daté.

L’école St-Matthew cesse ses activités en 1886[8]. Le lieu est converti en salle paroissiale et continue de loger l’école du dimanche. Des travaux d’agrandissement réalisés entre 1910 et 1923 lui donnent ses dimensions actuelles. Dans un contexte de déclin démographique de la communauté anglo-protestante de Saint-Jean-Baptiste[9], le diocèse se départit de l’école St-Matthew en 1975 au profit de l’Église Adventiste du 7e jour, qui la transforme en chapelle[10]. Enfin, en 1994, des promoteurs acquièrent le bâtiment et le recycle en copropriétés.

Notes

[1] La date d’ouverture de l’école St-Peter est incertaine, mais non postérieure à 1870 puisque le Quebec Daily Mercury du 2 juillet 1870 relate la distribution de prix dans cet établissement. Étrangement, tant le Quebec Directory et le Quebec & Levis Directory y réfèrent plutôt sous le nom d’école St-Paul dans leurs éditions de 1871-1872 et 1872-1873. On peut se demander s’il s’agit d’une autre institution ou simplement d’une erreur de la publication. Quoi qu’il en soit, le vocable St-Paul disparait des annuaires en 1874.

[2] La « St. Mathew’s Sunday School » apparait dans le Quebec Directory for 1871-1872.

[3] Dans son rapport d’inspection des écoles déposé en juillet 1875, le révérend M. M. Fothergill fait état de la fermeture de l’école St-Peter : «École St. Peters – Je regrette de dire que l’école de premier ordre dirigée depuis deux ans par M. Ed. Poole, B.A., dans la maison d’école St. Matthews a été fermée le 24 juin dernier. M. Poole est retourné dans la province d’Ontario y prendre la direction d’une des écoles du gouvernement. Le nombre des élèves qui variait de 35 à 40, ne pouvait pas sans aide étrangère donner un revenu suffisant. M. Poole était un instituteur des plus efficaces». L’année suivante, il souligne l’ouverture de l’école publique: « Les commissaires viennent d’ouvrir une nouvelle école dans le bâtiment connu sous le nom de St. Mathews School, rue d’Aiguillon, et en ont confié l’administration aux soins de Mlle Cowan ». Notons par ailleurs que la commission scolaire n’est alors que locataire puisque le lot sur lequel s’élève l’école demeure la propriété du « Lord Bishop of the Diocese of Quebec » de 1872 à 1975.

[4] Le titre de recteur est accordé au curé d’une paroisse anglicane. La paroisse St-Matthew est érigée en 1875.

[5] L’auteur des plans de l’école en 1871 désigne l’étage comme étant la « chamber ».

[6] Il ne s’agit pas de l’actuel quartier Montcalm. À la fin du XIXe siècle, il englobe le territoire situé au sud de la rue Saint-Jean comme le montre le plan ci-dessous.

Plan montrant l’emplacement des quartiers de Québec dans les faubourgs en 1871. (Plan of the city of Quebec for the Quebec & Levis directory, Paul Cousin, 1871, BAnQ, fonds inconnu, G 3454 Q4 1871 C68 CAR)

[7] Dans son rapport au surintendant de l’instruction publique en 1877, l’inspecteur M. M. Fothergill attribue clairement la « paternité » du bâtiment à Charles Hamilton : « […] les commissaires ont l’avantage d’avoir une salle bien aérée, construite par le Rév. C. Hamilton ».

[8] La commission scolaire protestante envisage à cette époque de concentrer les élèves des petites écoles en une même institution. L’Elgin Street School, située dans le Vieux-Québec, ouvrira ses portes dans ce but en 1894. Voir Patrick Donovan, « Elgin Street School (École de la rue Elgin) », À la Carte, les communautés de langue anglaise de Québec, Morrin Centre, sans date.

[9] Le pourcentage de la population anglophone à Québec passe d’environ 16% en 1900 à 6% en 1941 puis à 4% en 1971.

[10] L’église St-Matthew et son cimetière sont cédés à la Ville de Québec quatre ans plus tard.

Sources et bibliographie

Annuaires de Québec, 1870-1876

« St. Matthew’s School ». Fiche d’un bâtiment patrimonial. Ville de Québec, non daté.

« St. Peter’s School ». The Quebec Daily Mercury, vol. LXVI, no 152 (2 juillet 1870), p. 2. (consulté sur le site de BAnQ)

BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES DU QUÉBEC. Fonds Cour supérieure. District judiciaire de Québec. Greffes de notaires, CN 301. Série Henry Charles Austin, S290. Dossier « Contract Hatch with Rev. C. Hamilton », 4 février 1871, D5017; outre le contrat, le dossier comprend les deux plans reproduits ci-dessus.

BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES DU QUÉBEC. Fonds Cour supérieure. District judiciaire de Québec. Greffes de notaires, CN 301. Série William Bignell, S294. Dossier « Contract H & A Hatch with The Protestant Board of School Commissioners », 19 novembre 1877, D9269.

DONOVAN, Patrick. «Les communautés de langue anglaise à Québec». À la Carte, les communautés de langue anglaise de Québec. Morrin Centre, sans date.

DONOVAN, Patrick. «Saint Matthew’s School (École Saint Matthew’s), Saint Peter’s School (École Saint Peter’s), D’Aiguillon Street School (École de la rue D’Aiguillon), Augustin Street Girls’ School (École pour filles de la rue Augustin)». À la Carte, les communautés de langue anglaise de Québec. Morrin Centre, sans date.

QUÉBEC (PROVINCE). DÉPARTEMENT DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE. Rapport du surintendant de l’Instruction publique de la province de Québec pour l’année 1875-1876. Québec, Charles-François Langlois, 1876, XXXV-332 p. Ce rapport comprend en outre des documents non publiés dans le rapport 1874-1875.

QUÉBEC (PROVINCE). DÉPARTEMENT DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE. Rapport du surintendant de l’Instruction publique de la province de Québec pour l’année 1876-1877. Québec, Charles-François Langlois, 1877, XIII-414 p.-

VALLIÈRES, Marc. « Développement urbain à Québec ». Histoire de Québec et sa région. Tome II : 1792-1939. Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2008, p. 1301-1386. Coll. « Les régions du Québec », no 18.