Depuis 85 ans, le Palais Montcalm offre à la population de Québec une gamme d’activités culturelles. On peut s’étonner que cet édifice consacré essentiellement à la musique de nos jours ait succédé à une halle de marché au début des années 1930. En principe, un lieu de distribution de denrées alimentaires n’a rien en commun avec un centre culturel. Pourtant, comme nous le verrons, le Palais Montcalm doit en partie sa vocation et son apparence à la halle qui l’a précédé.
C’est à la suite du nivellement du glacis[1] des fortifications en 1875 que la Cité de Québec planifie l’aménagement du marché Montcalm à l’extérieur de la porte Saint-Jean[2]. Sous la direction de Charles Baillairgé, ingénieur municipal, l’architecte Paul Cousin réalise les plans d’une halle de deux étages devant jouxter la place de marché. En 1876, Cousin apporte des changements approuvés par le conseil municipal: le bâtiment comporte un rez-de-chaussée et trois étages recouverts par un toit mansardé typique du style Second Empire[3]. La halle, dont les pierres proviennent des fortifications démolies quelques années auparavant, est inaugurée en mai 1877.

Proposition de halle soumise par l’architecte Paul cousin en 1875 et non retenue par la Cité. Reproduction provenant du Fonds Charles Baillairgé aux Archives de la Ville de Québec (P1, FC1344)

Plan de la halle Montcalm réalisé par Paul Cousin en 1875 et retenu par la Cité de Québec. (Halle Montcalm, Paul Cousin, 1875, AVQ, Fonds Ville de Québec, QD2, FC 01647)

Plan de la halle Montcalm proposé par Paul Cousin et approuvé par les autorités municipales en 1876. Reproduction provenant du Fonds Charles Baillairgé aux Archives de la Ville de Québec (P1, FC1343)
Le bâtiment est avant tout conçu pour offrir à la population un espace pour le commerce de denrées alimentaires à l’abri des éléments[4]. À son ouverture, le rez-de-chaussée et le premier étage sont principalement occupés par les marchands de viande (viande et lard) tandis que le deuxième étage renferme trois salles destinées à des activités socioculturelles et éducatives. Dès novembre 1877, deux d’entre elles sont louées à l’école des Arts et Manufactures[5]. Un incendie endommage partiellement l’édifice en 1881, mais ne modifie pas son apparence. Par ses caractéristiques, la halle Montcalm incorpore les plus récentes transformations qui marquent l’évolution des halles de marché: emploi de matériaux plus résistants permettant la construction de bâtiments plus volumineux, multiplication des usages en raison de la centralité du lieu et architecture plus recherchée afin d’embellir le site et accroitre le prestige de la ville[6].

Vue du marché et de la halle Montcalm à la fin du XIXe siècle. Le cliché est postérieur à 1886 puisqu’on reconnait la façade de l’hôtel du Parlement, complétée cette année là. (Quartier Vieux-Québec – Place D’Youville – Marché Montcalm – Vue panoramique . – [Vers 1880], BAnQ, Collection initiale, P600,S6,D1,P214)

Vue rapprochée de la halle Montcalm à la fin des années 1920 alors que son avenir est incertain. (Quartier Vieux-Québec – Place D’Youville – Marché Montcalm – Vue éloignée . – [Vers 1930], BAnQ, Collection initiale, P600,S6,D1,P215)
Au début du XXe siècle, l’entreprise privée prend progressivement le relai de l’administration municipale dans la gestion des lieux de commerce des denrées alimentaires. C’est le cas à Québec alors que plusieurs marchés et halles cèdent la place à des établissements privés disséminés dans la ville[7]. Le marché Montcalm poursuit ses activités jusqu’en 1929. À cette époque, quelques projets sont proposés pour remplacer la halle ou lui donner une seconde vie. Il est notamment question d’édifier un aréna, un hôtel ou un athénée « dédié aux arts, sciences et lettres ».

Proposition d’édification d’un forum à l’emplacement de la halle en 1927. Cet immeuble devait abriter un hôtel, une patinoire couverte et des commerces de détail. Proposed Building. Montcalm Market Place, ca 1927, J. Melville Miller, AVQ, Fonds Ville de Québec, Q-P1, FC01612)

Projet d’agrandissement de la halle Montcalm afin d’en faire un athénée. Réalisé vers 1930 par Ludger Robitaille et Gabriel Desmeules, ce plan n’est pas retenu par les autorités municipales. Cette annexe aurait été située à l’arrière de la halle. (Athénée, édifice dédié aux Arts, Sciences et Lettres, Ludger Robitaille et Gabriel Desmeules, [ca 1930], AVQ, Fonds Ville de Québec, FC1971-0262

Proposition de transformation de la halle Montcalm réalisée par l’architecte Raoul Chênevert en 1930. (Transformation du marché Montcalm, Raoul Chênevert, 1930, BAnQ, Fonds Raoul Chênevert, P372 D684)
En 1931, la Cité de Québec approuve la restauration et l’agrandissement de la halle afin d’y aménager un centre culturel et récréatif[8] : ce sera le Palais Montcalm[9]. Le mauvais état des murs du bâtiment nécessite cependant sa reconstruction partielle[10]. Les architectes Ludger Robitaille et Gabriel Desmeules, assistés par leur collègue Joseph-Léon Pinsonnault, proposent un mélange architectural plutôt austère combinant des éléments anciens, voire archaïques[11], et modernes. Qualifié de « Monument National » par l’administration municipale, le Palais Montcalm est inauguré le 21 octobre 1932. Outre la nouvelle salle de spectacle qui sera dotée de projecteurs de cinéma en 1939, le Palais Montcalm comprend une bibliothèque gérée par l’Institut canadien, une piscine et des locaux occupés par les associations littéraires et scientifiques de la capitale. En ce sens, le Palais Montcalm poursuit la fonction socioculturelle amorcée dans la halle de marché en 1877.

Vue latérale du Palais Montcalm en 1944. Cette photographie permet d’apprécier d’apprécier le volume acquis par l’édifice à la suite des travaux réalisés en 1931-1932. On aperçoit au premier plan la rue D’Youville prolongée à la même époque. (Palais Montcalm, 1944-09-12, AVQ, Fonds Ville de Québec, Q-C1-14-N002117)

Vue de la piscine aménagée dans le Palais Montcalm. En faisant de ce lieu à la fois un espace de culture et d’activité physique, la Cité offre à la population majoritairement francophone de Québec un service comparable à celui proposé par la YMCA et la YWCA à la communauté anglophone. (Palais Montcalm, 1944, AVQ, Fonds Ville de Québec, Q-C1-14-N002161)
Notes
[1] Le glacis est un « aménagement en pente douce destiné à assurer le découvert nécessaire aux opérations de défense ». Voir « Glossaire», L’archéologie à Québec, Ville de Québec, non daté. Ci-dessous, une aquarelle réalisée en 1839 montre le glacis aménagé à l’extérieur de la porte Saint-Jean.

Vue du glacis des fortifications en 1839. (St. Roch Faubourg and River St. Charles, Millicent Mary Chaplin, 1839, BAC, Fonds Millicent Mary Chaplin, 1956-62-590
[2] La Cité de Québec acquiert le terrain du gouvernement fédéral par bail. Ce nouveau marché, auquel le nom du quartier lui est donné, est appelé à remplacer l’exigu marché situé en face de la basilique-cathédrale Notre-Dame-de-Québec. Rappelons que le quartier Montcalm comprend alors le territoire situé au sud de la rue Saint-Jean à l’extérieur des fortifications.
[3] La décision d’installer une couverture mansardée plutôt qu’un toit à croupe comme le prévoyait initialement les plans permet l’aménagement d’espaces supplémentaires dans la halle. Par ce choix, la halle Montcalm constitue l’un des précurseurs du style Second Empire à Québec.

Coupe transversale des ailes latérales la halle Montcalm en 1875-1876. Ce plan montre la forme du toit approuvée en 1875 par les autorités municipales puis corrigée en 1876. (Coupe transversale, [Paul Cousin], 1875-1876, AVQ, Fonds Charles Baillairgé, FC-1346)
[4] Ce type de marché, qui est le plus commun, se différencie du marché aux poissons (ex : marché Finlay) et du marché à foin, à bois et au bétail (ex : marché Saint-Paul).
[5] L’autre salle est vraisemblablement réservée aux assemblées publiques. Le dernier étage situé dans le corps central loge probablement le clerc du marché, un employé de la Cité responsable de la bonne gestion du marché et de la halle. En avril 1877, il formule une demande en ce sens au comité des marchés.
[6] À Québec, la halle Jacques-Cartier, construite en 1857, est la première à intégrer ces caractéristiques. La massive halle Champlain, est édifiée l’année suivante dans le même esprit.
[7] Les marchés publics suivants disparaissent dans le premier quart du XXe siècle : Finlay (basse-ville, 1906), Jacques-Cartier (Saint-Roch, 1911), Champlain (basse-ville, 1912), Berthelot (Saint-Jean-Baptiste, 1915), du Palais (basse-ville, 1922).

Vue de la halle du marché Jacques-Cartier en 1898. Elle était située à l’emplacement actuel de la tour Fresk dans le quartier Saint-Roch. (Quartier Saint-Roch – Angle rue de la Couronne et rue Saint-Joseph – Marché Jacques-Cartier, Philippe Gingras, Quebec . – 1898, BAnQ, Fonds Philippe Gingras, P585,D15,P1)

Vue de la halle du marché Champlain vers 1870. Cet édifice était situé non loin de l’emplacement actuel de la gare fluviale de Québec. (Quartier Vieux-Québec-Basse-Ville – Marché Champlain / L. P. Vallée, Portrait and Landscape Photographer, Quebec . – [ Vers 1870], BAnQ,Collection Centre d’archives de Québec, P1000,S4,D59,P87)
[8] Le comité administratif de la Cité envisage trois projets aux coûts variables. Le plus onéreux (350 000$) prévoit la construction d’une salle de théâtre de 1300 places à l’arrière de l’ancienne halle. Le moins dispendieux (195 800$) propose l’aménagement d’une salle de concert à l’intérieur des murs de l’ancienne halle. Le comité administratif sélectionne finalement un projet d’une valeur de 210 000$ et qui prévoit la construction d’une nouvelle salle de 1100 sièges à l’arrière de l’ancienne.
[9] À la même époque, les travaux d’aménagement de la place D’Youville sont réalisés à l’emplacement de l’ancien marché. Notons que le toponyme « carré D’Youville » est initialement attribué au quadrilatère formé de nos jours par le terminus du Réseau de transport de la capitale. Cet espace est aménagé en 1929 par la Cité de Québec en vue d’améliorer la circulation automobile.

Vue du Palais Montcalm et de la place D’Youville dans les années 1930. (Palais Montcalm, s.d., BAC, Collection de photographies par Jules-Ernest Livernois, PA-023545)
[10] Les deux ailes latérales de l’ancienne halle sont démolies jusqu’au niveau du rez-de-chaussée puis reconstruites.
[11] Dans un rapport monographique conservé aux Archives de la Ville de Québec, un auteur non identifié est critique de l’originalité architecturale du Palais Montcalm : « Le Palais Montcalm tel que nous le connaissons n’est en fait le marché de 1876 maquillé abondamment en 1931. Structuralement, l’édifice que nous avons est très près de l’ancien marché. On n’a fait qu’élargir le corps central et exhaussé les deux ailes en éliminant les mansardes. […] Il est difficile de rattacher cet édifice aux grandes tendances architecturales qui circulaient dans les années trente. En effet, la reprise de la façade en utilisant les mêmes ouvertures contraint l’architecte à ne faire œuvre que de décorateur. Les concepts de décorations [sic] de cet édifice sont de plus archaïques pour la période. […] Les architectes Pinsonnault, Robitaille et Desmeules n’ont pu aussi faire abstraction du style Beaux-Arts, complètement dépassé en 1931 […] Le Palais Montcalm devient de cette façon un élément anachronique dans l’évolution de l’architecture québécoise. Il se veut moderne mais il utilise des principes contradictoires déjà anciens en 1930 pour se justifier ». Voir « 995, place d’Youville ». Documents historiques numériques, Ville de Québec, non daté.
Abréviations des centres d’archives
AVQ: Archives de la Ville de Québec
BAC: Bibliothèque et Archives Canada
BAnQ: Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Sources et bibliographie
Archives de la Ville de Québec
Fonds Ville de Québec, Q. Série Réseau routier et infrastructure, D4. Rapports annuels du Département des travaux publics, 2B/1757-1762 (1929-1933).
Fonds Ville de Québec, Q. Série Conseil, P1. Sous-série conseil et comités, 4. Proposed Building. Montcalm Market Place. Quebec, FC01612.
Fonds Ville de Québec, Q. FC1971-0262, Athénée, édifice dédié aux Arts, Sciences et Lettres
Fonds Charles Baillairgé, P1, 6A-95/10
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Fonds Ludger Robitaille, P 742. Dossier « Transformation de la halle Montcalm, Québec », D129.
Fonds Raoul Chênevert, P372. Dossier « Projet pour le Palais Montcalm. Transformation du marché Montcalm », D684.
« 995, place d’Youville ». Documents historiques numériques, Ville de Québec, non daté.
« Place d’Youville ». L’archéologie à Québec, Ville de Québec, non daté.
« Palais Montcalm ». Fiche d’un bâtiment patrimonial, Ville de Québec, non daté.
BERGERON, Yves. Les places et halles de marché au Québec. Québec, Publications du Québec, [1993], 56 p.
CHOUINARD, Roger. « Analyse de l’évolution architecturale des halles de marché de la ville de Québec au cours du XIXe siècle ». Mémoire de maitrise, Québec, Université Laval, 1981, XXV-257 p.
GROUPE DE RECHERCHE EN HISTOIRE DU QUÉBEC INC. Étude d’ensemble : Sous-secteurs Des-Glacis, Redoute-Royale et Chauveau, Synthèse. Québec, Ville de Québec, Service de l’urbanisme, Design urbain et patrimoine, X-191 p.
PARÉ, Yves. « La montée du commerce de détail ». Serge COURVILLE et Robert Garon, dir. Québec ville et capitale. Archives nationales du Québec/Presses de l’Université Laval, 2001, p. 210-217. Coll. «Atlas historique du Québec ».
[…] [1] Signalons que l’Auditorium présente en fait peu de cinéma avant 1915. Je vous invite par ailleurs à consulter mes articles sur le Capitole et les autres salles de projections bien connues de la place d’Youville : le cinéma de Paris et le Palais Montcalm. […]
[…] Fruit d’une collaboration avec le Bourdon du Faubourg, ce nouvel article porte sur l’histoire de la halle et du Palais Montcalm et les similitudes entre ces deux bâtiments. […]