C’est à l’occasion du lancement des Renauderies – Tome 2 que nous avons rencontré Renaud Pilote, musicien, poète, écrivain du quotidien, enfant du Faubourg, pour en savoir un peu plus sur ces chroniques urbaines, drôles et sensibles.

Parues initialement dans le journal communautaire Droit de Parole, et illustrées par Arielle Galarneau et Marc Boutin, ces trente chroniques sont autant d’hommages à ce drôle de personnage qu’est la Ville de Québec, et à ses quartiers centraux, dont Saint-Jean-Baptiste. « Content d’avoir grandi là », ce citadin endurci a commencé à accumuler ses chroniques, puis à les publier dans Droit de Parole, un peu par hasard. Le hasard se traduisant parfois en inertie, les billets se sont accumulés, et ont mené à un premier recueil des Renauderies en 2012, publié à compte d’auteur.

Le Balcon, la Tabagie, La Pancarte, La Bouche d’égoût, tout est prétexte à l’écriture. « Plus c’est insignifiant, plus je vais trouver l’idée bonne » dit-il, et l’on découvre au fil des pages que notre environnement urbain est plein de sources d’inspiration pour qui veut bien voir que l’insignifiant en dit en fait beaucoup sur la ville et comment nous la vivons. « Par cette fenêtre située là où Saint-Olivier rencontre Sainte-Madeleine, j’ai pu contempler la quiétude qui, somme toute, règne dans ce faubourg abondamment fenestré. Ses habitants n’y mettent pas de barreaux, n’y jettent pas de briques, n’y ajoutent pas de volet. À l’ombre des grandes tours du sud, il s’avère judicieux de permettre l’entrée de chaque rayon qui parvient à les contourner » (La Fenêtre, p.92).

« C’est un dialogue entre moi et la ville sous toutes ses coutures », ajoute-t-il ravi d’avoir utilisé sa plume comme d’autres utilisent une aiguille pour façonner un costume sur-mesure à ceux qu’ils aiment. Il aime Saint-Jean-Baptiste car c’est un « endroit où on est à l’abri de la circulation », et, bien que le quartier soit très dense, on profite d’une « liberté qu’on ne retrouve pas ailleurs ». Si ce sont les éléments du décor des quartiers centraux qui sont à l’origine de ses textes, on sent également beaucoup d’amour pour les habitants qui vivent dans ces décors.

Pour autant, on ne verra pas de tome 3 des Renauderies. Même si l’infiniment petit parait inépuisable, il estime avoir fait le tour et a beaucoup d’autres projets en tête, des projets d’écriture avec un format plus long notamment. Déjà titulaire d’une maîtrise en création littéraire, le jeune trentenaire a repris ses études pour finir un baccalauréat en études littéraires et éventuellement enseigner au Cégep.

Le livre est en vente à la Librairie Saint-Jean-Baptiste, et dans plusieurs librairies des quartiers centraux. Pour vous donner le goût, nous reproduisons ci-dessous, avec l’aimable autorisation de l’auteur, un texte tiré des Renauderies – Tome 2.

La cour intérieure*

Ce n’est pas Limoilou, ici, encore moins Montréal, où les ruelles font respirer les quartiers. Les cours intérieures du centre-ville sont des enclaves étanches qu’effareront les plus claustrophobes d’entre nous. Divisées en plusieurs parcelles grâce à des clôtures et des murets dépareillés, il est rare que nous obtenions une vue d’ensemble des galeries du pâté de maisons les encerclant : une rallonge construite ici et un lierre poussé là empêchent souvent l’appréciation de leur envergure. Seuls les chats sauront explorer le détail de leurs ramifications. Seuls les arbres, qui parfois y surgissent, s’élèveront suffisamment pour quitter l’ombre quasi perpétuelle de ces enceintes cachées aux touristes de la vieille ville.

Illustration Marc Boutin

Ainsi sommes-nous toujours ravis lorsqu’un ami nous invite chez lui, dans une section du quartier où nous n’avons jamais visité la cour intérieure, comme si un petit secret de la ville allait enfin se dévoiler à nous. Oh, nous avions bien aperçu quelque chose, une fois, par une porte de garage laissée ouverte par l’habitant ; mais ici, posté au troisième étage, notre curiosité est satisfaite. Cette cour-ci est décrépite, limite glauque. Ce n’est pas grave car, que nous ayons découvert une dompe ou un jardin aux mille délices, nous serons content. En effet, ces cours intérieures n’existent pas pour être vues ou occupées (à peine faisons-nous mention d’elles sur le bail), elles sont là, point. Un peu plus loin à notre gauche, certains semblent toutefois se l’être appropriée à leur manière : potager modeste, fontaine discrète et balançoires précaires, autant de trésors à découvrir, sans parler de la joie tout égoïste de dire « Tiens, c’est comme ça ici ». Oui, nous faisons désormais partie de ceux qui savent.

Il y a une tranquillité à respecter, la cour intérieure se voulant une bulle à l’abri du vacarme qu’engendre l’asphalte et tout ce qui l’entoure. Bien sûr, nous aurons à subir ce voisin faisant un solo de perceuse quelque part dans l’été, cet enfant criard en mal d’attention ou cette petite fête judicieusement organisée un mardi soir ; or nous comprendrons qu’il s’agit là de maux inévitables dans une ville vivante et que, le moindre bruit étant amplifié par la répercussion sur la brique, il serait exagéré d’aller nous plaindre en haut lieu : c’est là le ronron normal de cet amphithéâtre communautaire. Ceux qui rechignent devraient vraiment aller prendre l’air hors de leur appartement pour ensuite aller jouer un peu dans le trafic, tsé, nous essayons d’être tranquille dans la cour intérieure, nous.

Oui, elles se ressemblent un peu toutes, les cours intérieures de cette ville. Nous pourrions également dire qu’en général, elles ne valent pas vraiment le détour et qu’elles attireront difficilement des clients sur Airbnb. Ce serait cependant mal les connaître que de les croire insignifiantes. Pour les avoir toutes plus ou moins rencontrées, nous avons fait l’intéressante découverte que les cours intérieures sont, plus que nous ne pourrions le penser, ouvertes sur le monde.

*Chronique parue initialement dans dans Droit de Parole, septembre 2016.

Lors du lancement, Renaud Pilote revient sur le processus de publication du livre et nous lit deux textes tirés des Renauderies – Tome 2.