C’est en 1896 à Montréal qu’une projection cinématographique est présentée au public québécois pour la première fois. Itinérant à ses débuts, ce spectacle de « vues animées », comme on le nomme alors, est progressivement présenté dans ses salles aménagées à cette fin. À Québec, de tels établissements s’implantent principalement en bordure des rues Saint-Jean et Saint-Joseph. Il s’agit en fait de lieux offrant une variété de divertissements : musique, théâtre et cinéma muet. En haute-ville de Québec, l’Auditorium (le théâtre Capitole), propose cette formule à son ouverture en 1903[1]. Dans les décennies qui suivent, le faubourg se dote de quelques autres salles dont le souvenir, généralement tombé dans l’oubli, mérite d’être rappelé.

À l’automne de 1909, la Quebec Olympia Company, formée par des entrepreneurs de la capitale, acquiert l’église de la communauté protestante francophone[2] située sur la rue Saint-Jean. Construit en  1876, ce temple néogothique est en partie démoli pour faire place au théâtre Olympia, dont le style de la façade rappelle l’architecture des théâtres du XIXe siècle et préfigure les palaces cinématographiques. En 1910, la capacité de la salle passe de 500 à plus de 600 sièges à la suite d’un agrandissement qui étend la propriété jusqu’à la rue Saint-Joachim[3]. Cinq ans plus tard, l’entreprise enrichit son offre de divertissement en édifiant une salle de quilles et de billard sur un emplacement voisin du théâtre[4].

Photographie du théâtre Olympia, réalisée entre 1912 et 1915. L’année 1912 correspond à la sortie du film Getting Rid of Trouble, dont le titre apparait sur quelques affiches. En 1915, le bâtiment situé à gauche du théâtre est remplacé par un salon de quilles et de billard. (Olympia, s.d., BAC, Collection de photographies de Jules-Ernest Livernois, PA-024176)
Détail d’un plan des assureurs représentant le bâtiment du théâtre Olympia après son agrandissement et la construction de la salle de quilles et de billard sur un emplacement voisin. On remarque que la portion bordant la rue Saint-Joachim est réservée à des fins résidentielles (dwg = dwelling). Insurance plan of the city of Quebec, Canada, Charles E. Goad, 1910, BAnQ, fonds et cote inconnus

L’Olympia devient le théâtre Canadien en 1920[5]. Ironiquement, on n’y présente essentiellement que des films américains, ce qui est toutefois la norme dans le monde du cinéma au Québec à ses débuts. La fondation d’entreprises de distribution de films français[6] à l’époque où le cinéma devient sonore[7] change la donne. L’exploitation d’un réseau de salles, dont fait partie le théâtre Canadien, par France-Film[8], contribue également à accroitre la diffusion de contenus en langue française. Le théâtre Canadien met fin abruptement à ses activités en 1946 à la suite d’un incendie d’origine criminelle; au lieu de le rebâtir, France-Film opte pour la construction d’une nouvelle salle à la place d’Youville: ce sera le cinéma de Paris. L’emplacement incendié sur la rue Saint-Jean demeurera vacant jusqu’à nos jours. Seul un espace de stationnement sera aménagé sur ce lieu renommé Passage Saint-Joachim.

Photographie du théâtre Canadien dans les années 1930. (Tiré de Pierre Verroneau, Le succès est au film parlant français, histoire du cinéma au Québec I, p. 17)
Photographie du théâtre Canadien le 25 juin 1946 alors qu’il est la proie des flammes. Ce cliché apparait à la une du Soleil le même jour. (tiré de Documents historiques numériques, 855, rue Saint-Jean, AVQ)

À l’autre bout du quartier, à l’angle du chemin Sainte-Foy et de l’avenue De Salaberry, est édifié en 1916 le théâtre Classic, propriété de la Montcalm Theatre Company. L’esthétique du bâtiment, d’une capacité de 500 sièges, est beaucoup plus sobre que celle du théâtre Olympia. En 1938, à la suite de travaux d’agrandissement entrepris l’année précédente, un incendie rase le cinéma. Les efforts du propriétaire d’alors pour reconstruire le bâtiment sont ralentis en raison de la pénurie de matériaux et du contrôle exercé par le gouvernement fédéral sur l’économie canadienne lors de la Seconde Guerre mondiale. Ce n’est que vers la fin du conflit que les travaux sont complétés. La salle est acquise par Famous Players en 1945 puis par France-Film dix ans plus tard. Renommé Cinéma Le Bijou en 1966, l’établissement ferme ses portes en 1979[9]. Démoli, il fait place à un stationnement voisin du CLSC de la haute-ville.

Vue du cinéma Le Bijou en 1977. (Cinéma Le Bijou, 1977, AVQ, Fonds Ville de Québec, Q-D1-11-N402673)
Vue de l’édifice du cinéma Le Bijou deux ans après sa fermeture. (Chemin Sainte-Foy – coin De Salaberry, 1981-04-28, AVQ, Fonds Gérard Donnelly, P059-N404307)

Enfin, concluons cet aperçu avec une salle de cinéma aménagée au rez-de-chaussée de l’édifice des Vétérans en bordure de la place d’Youville. En novembre 1937, une filiale de Famous Players y inaugure le cinéma Cambrai, une salle de 470 sièges dans laquelle sont présentés principalement des reprises de films américains en français. Il demeure en activité jusqu’en 1956. L’histoire veut que l’on ait tout bêtement oublié de renouveler le bail de l’établissement![10].

Vue de l’édifice des Vétérans en 1944. On aperçoit l’accès au cinéma au rez-de-chaussée. (Intersection place D’Youville et rue St-Joachim, 1944-09-12, AVQ, Fonds V de Qc, Q-C1-14-N002246)
Publicité du cinéma Cambrai publiée à l’époque de son ouverture en 1937. ([Publicité du Cinéma Cambrai], Le Soleil, vol. 56, no 274 (20 novembre 1937), p. 11)

Notes

[1] Signalons que l’Auditorium présente en fait peu de cinéma avant 1915. Je vous invite par ailleurs à consulter mes articles sur le Capitole et les autres salles de projections bien connues de la place d’Youville : le cinéma de Paris et le Palais Montcalm.

[2] Celle-ci fait construire une nouvelle église sur la rue Saint-Augustin, non loin de la rue Saint-Joachim. De nos jours, le bâtiment est occupé par le bar Le Drague.

[3] Notons que la partie du bâtiment bordant la rue Saint-Joachim est occupée à des fins résidentielles.

[4] Il s’agit du 869-871 occupé de nos jours par l’entreprise St-Laurent coiffure et spa Aveda.

[5] Vers 1919, l’Olympia est incorporé à l’empire Allen Theatres, qui exploite alors une importante chaîne de salles de cinéma au Canada. En 1923, des problèmes financiers forcent l’entreprise à céder 53 salles à Famous Players, un nouveau joueur au pays. Les sources consultées ne précisent pas si le Théâtre Olympia/Canadien fait l’objet de cette transaction.

[6] Cela désigne à la fois les films produits et doublés en français.

[7] Le théâtre Canadien présente du cinéma sonore (ou parlant) dès 1929.

[8] Le nom de l’entreprise est trompeur : France-Film est une entreprise québécoise dont la fusion avec Franco-Canada Films en 1934 lui donne le monopole de la distribution du film français au Canada. Voir Pierre Verroneau, Le succès est au film parlant français : histoire du cinéma au Québec, [Montréal], La Cinémathèque québécoise/Musée du cinéma, 1979, p. 14-16.

[9] Le Soleil attribue cette fermeture à la construction de nouvelles salles au Cinéma de Paris : « Événement cinématographique à Québec! Le Cinéma de Paris a ouvert, hier, ses trois nouvelles salles. […] Malheureusement, cela signifie aussi la fermeture, à partir du 4 novembre, du cinéma « Le Bijou », salle vétuste, propriété de « France Film » également ». Voir « Ouverture des trois nouvelles salles du Cinéma de Paris », Le Soleil, vol. 83, no 260 (2 novembre 1979), p. C7.

[10] Il est plutôt vraisemblable que ce soit l’acquisition de l’édifice des Vétérans par la Corporation de Prêt et Revenu en 1956 qui ait entraîné la fermeture du cinéma.

Représentation de l’églie protestante française construite à l’emplacement du théâtre Olympia. (Tiré de Joseph Trudelle, Les jubilés et les églises et chapelles de la ville et de la banlieue de Québec, 1608-1901, vol. 2, p. 272)
Plan représentant la façade du salon de quilles et de billard construit en 1915 à côté du théâtre Olympia. (Façade principale, Salle de quilles et de billliards pour la compagnie du Théâtre Olympia de Québec, [ca 1915], BAnQ, Fonds Raoul Chênevert, P 372, D117)
Vue actuelle de l’emplacement sur lequel s’élevait le théâtre Olympia/Canadien en bordure de la rue Saint-Jean. (collection de l’auteur, 2018)
Vue actuelle de l’emplacement sur lequel s’élevait le théâtre Classic/cinéma Le Bijou. (collection de l’auteur, 2018)
Vue actuelle de l’édifice des Vétérans depuis la place d’Youville. (collection de l’auteur, 2018)

Abréviations des centres d’archives

AVQ: Archives de la Ville de Québec

BAC: Bibliothèque et Archives Canada

BAnQ: Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Sources et bibliographie

«869 à 871 Rue Saint-Jean ». Fiche d’un bâtiment patrimonial. Ville de Québec, non daté.

Annuaires de Québec, 1909-1922

Archives de la Ville de Québec. Documents historiques numériques. Dossiers sur les 855, 860 et 869-871, rue Saint-Jean.

Bibliothèque et Archives nationales du Québec :

Fonds Raoul Chênevert, P372. Dossier « Projet d’architecture relatif à une salle de quilles et de billard appartenant à H. Paquet située rue Saint-Jean dans la ville de Québec », 1924, D117. Le dossier comprend des plans non datés représentant vraisemblablement le bâtiment en 1915.

Fonds Ludger Robitaille, P742. Dossier « Théâtre Cambrai, édifice Army and Navy », 1937, D3.

Fonds Étienne Bégin, P830. Dossier «Théâtre Classic », 1937-1944, D175. Le dossier est conservé dans deux contenants. L’un (« Propriété Théâtre Classic, Québec », 2003-10-015/6) comprend de la correspondance et l’autre (« Théâtre Classic », 2003-10-015/22) comprend des dessins d’architecture.

Journaux (consultés sur la plateforme BAnQ numérique)

  • L’Action sociale, 1909
  • La Vigie, 1909-1910
  • Le Devoir, 1910-1915
  • La Gazette officielle de Québec, 1909-1924
  • Le Panorama, 1921
  • Le Soleil, 1933-1979
  • L’Illustration nouvelle, 1937

LABERGE, Yves. « »Aller aux vues » dans la capitale ». Cap-aux-Diamants, no 38 (été 1994), p. 30-34.

LEVER, Yves. Histoire générale du cinéma au Québec. [Montréal], Boréal, 1995 (1988), 635 p.

MOORE, Paul. « Allen Theatres : North America’s First National Cinema Chain ». Marquee, vol. 40, no 3 (third quarter 2009), p. 4-6.

[MOORE, Paul]. « The Fall of the Allens : Famous Players’ Capitol Entertainment ». Marquee, vol. 40, no 3 (third quarter 2009), p. 22-23.

MORRIS, Peter et al. « Histoire du cinéma canadien ». L’Encyclopédie canadienne. Fondation Historica, 2012-2017.

PAGEAU, Pierre. « Cinémas d’après-guerre ». Continuité, no 129 (été 2011), p. 40-43.

PAGEAU, Pierre. Les salles de cinéma au Québec 1896-2008. Québec, Les Éditions GID, 2009, 414 p.

VÉRONNEAU, Pierre. Le succès est au film parlant français : histoire du cinéma au Québec I. Montréal, La Cinémathèque québécoise/Musée du cinéma, 1979, 164 p. Coll. « Les dossiers de la Cinémathèque », 3.