Non loin de l’avenue Honoré-Mercier, sur la rue Saint-Jean, on remarque un immeuble qui s’insère certes bien par sa hauteur dans le cadre bâti du quartier, mais qui s’en distingue également par sa façade ornée en maçonnerie de pierre. C’est à la Banque de Québec que l’on doit la construction de cet élégant immeuble. Je vous propose de découvrir ses origines et les principaux événements qui ont ponctué sa vie plus que centenaire.

Au début du XXe siècle, la Banque de Québec est déjà riche d’une longue tradition. Fondée en 1818, ce qui en fait la première institution bancaire dans l’histoire de la capitale, elle dessert pendant longtemps la communauté d’affaires associée au commerce du bois. À la fin du XIXe siècle, elle se trouve pourtant à la croisée des chemins. Sa capacité limitée de financement, la rareté des débouchés commerciaux dans le contexte du déclin économique de Québec et l’ouverture de succursales rivales dans les quartiers de Québec [1] poussent la banque à réorienter ses activités. Elle entreprend alors de se tourner davantage vers le marché domestique.

Publicité de la Banque de Québec publiée en 1888, dans laquelle on aperçoit le siège social de la rue Saint-Pierre. Tiré de l’Almanach des adresses Cherrier de la ville de Québec 1888-1889, Québec, L. J. Demers, [1888], p. XIV.
Photographie de l’immeuble construit par la Banque Jacques-Cartier à l’angle des rues Saint-Jean et Saint-Eustache. La Banque Nationale y établit une succursale en 1899. La Banque Nationale: 27 St. Peter : Branch 202 St. Jean : Succursale, [ca 1912], AVQ, Collection iconographique de la Ville de Québec, CI-N030985. Tiré de The Publicity Bureau, Quebec, Canada, Québec, 1912, p. 40

Déjà présente en haute-ville depuis 1894[2], la Banque de Québec décide quinze ans plus tard de se rapprocher de la population du faubourg Saint-Jean-Baptiste en louant un immeuble situé au 217, rue Saint-Jean. Il s’agit d’un emplacement temporaire; dès l’année suivante, le bâtiment voisin (219), occupé alors par l’ébéniste Joseph Laliberté[3], est acquis. À cet emplacement en 1911, l’entrepreneur général Émile Morissette édifie pour le compte de la banque un immeuble dont on ignore le nom de l’architecte[4]. Cette nouvelle succursale d’un étage[5] correspond en tout point aux canons de l’architecture bancaire de l’époque : esthétique classique, noblesse des matériaux (pierre), richesse de l’ornementation, faible fenestration. Tout pour en faire un temple de la finance et pour montrer que l’institution est solide et digne de confiance.

Vue de la façade de la succursale bancaire en 1936. Tiré de Saint-Jean-Baptiste de Québec : album publié à l’occasion du 50e anniversaire de l’érection canonique de la paroisse et du jubilé d’or de Mgr J.-E. Laberge, curé, Québec, L’Action catholique, 1936, p. 227.
Vue intérieure du 873, rue Saint-Jean montrant des ornements datant vraisemblablement de l’époque où l’immeuble était un temple de la finance. Collection de l’auteur, 2019. Avec l’aimable autorisation de M. Christian Lajoie.
Vue intérieure du 873, rue Saint-Jean montrant la porte blindée qui donnait accès à la voûte de l’institution financière. Collection de l’auteur, 2019. Avec l’aimable autorisation de M. Christian Lajoie.

En 1917, à la veille de son centenaire, la Banque de Québec fusionne avec la Banque Royale[6], qui incorpore, du même coup, la succursale de la rue Saint-Jean et une vingtaine d’autres au Québec. Cette acquisition permet à la Banque Royale d’avoir accès au marché québécois, jusque-là à peu près ignoré. La succursale du faubourg, dont l’apparence n’est apparemment pas modifiée par le nouveau propriétaire, est gérée par la Banque Royale jusqu’en 1942[7]. La Corporation de Prêt et Revenu, une société de placements fondée à Québec, y établit son siège social par la suite. En 1951, elle confie le soin à l’architecte Philippe Côté de réaliser les plans d’un agrandissement. Le projet initial comprend l’ajout de deux nouveaux étages, mais un seul est finalement construit. L’intervention architecturale est particulièrement réussie dans la mesure où l’unité de l’immeuble est bien préservée.

Publicité de la Corporation de Prêt et Revenu. L’entreprise fondée en 1928 à Québec sera vendue en pièces détachées dans les années 1990. Voir Stéphanie Grammond, « Quatre générations d’entrepreneurs de la finance« , La Presse, 17 avril 2013.
Vue de la façade du siège social de la Corporation de Prêt et Revenu telle que projetée lors de l’agrandissement de l’immeuble. On remarque que l’étage supérieur n’a pas été construit. Façade principale, Philippe Côté, 1951, BAnQ, Fonds Philippe Côté, P225,D109
Plan des transformations projetées au rez-de-chaussée du siège social de la Corporation de Prêt et Revenu en 1951. On remarque le déplacement de la voûte bancaire vers le côté droit du bâtiment. Plan du rez-de-chaussée, Philippe Côté, 1951, BAnQ, Fonds Philippe Côté, P225,D109

À la suite du déménagement du siège social de la Corporation de Prêt et Revenu dans l’édifice des Vétérans (Army and Navy) à la place d’Youville en 1956[8], le 219[9], rue Saint-Jean devient vacant. D’après les annuaires de Québec, il n’est à nouveau occupé qu’en 1961 alors qu’il devient la propriété de la Banque Impériale du Canada. Celle-ci, qui fusionne la même année avec la Banque Canadienne de Commerce[10], y maintient une succursale jusque vers 1976[11]. Depuis cette époque, une multitude de commerces et de services divers occupe successivement l’immeuble. De nos jours, on y trouve un cabinet d’avocats.

Publicité de la Banque Impériale du Canada annonçant en 1961 l’ouverture de sa succursale au 873, rue Saint-Jean. Le Soleil, 9 février 1961, p. 18.
Article relatant l’incendie du siège social de la Corporation de Prêt et Revenu en 1956 et évoquant leur déménagement dans l’édifice des Vétérans (Army and Navy) à la place d’Youville. « Édifice commercial ravagé, rue St-Jean », L’Action catholique, 23 juin 1956, p. 1

Notes

[1] À titre d’exemple, la Banque du Peuple installe une succursale dans Saint-Roch en 1886 et la Banque Jacques-Cartier fait de même dans Saint-Sauveur en 1889 et dans Saint-Jean-Baptiste en 1893.

[2] La succursale était située sur la côte de la Fabrique, dans le prolongement de la rue Saint-Jean.

[3] L’immeuble est alors la propriété de Léon-Philippe Vohl (1834-1925), commissaire des incendies de Québec.

[4] Aucun marché de construction n’a été répertorié dans le greffe du notaire Jacques Auger, qui a rédigé le contrat de vente par lequel la Banque de Québec devenait propriétaire du 219, rue Saint-Jean. Aucun marché n’a été également répertorié dans le greffe des notaires actifs à Québec à cette époque. Un article publié dans Le Soleil mentionne le nom de l’entrepreneur général, mais pas celui de l’architecte. Voir « Contrat important », Le Soleil, 11 mai 1911, p. 10.

[5] Il s’agit d’un étage suffisamment élevé pour permettre l’aménagement d’une mezzanine.

[6] Notons que des pourparlers avaient été menés sans succès en 1907 afin de fusionner la Banque de Québec avec la Banque Union. Signalons également que l’immeuble de la rue Saint-Jean ainsi que quelques autres succursales ont été vendues en 1913 à la Quebec Buildings Limited (QBL) sans ce que cela mette fin aux activités de la Banque de Québec. En raison du prix de vente (1 dollar), il est vraisemblable de croire que la QBL était une entreprise liée à la Banque de Québec.

[7] Le Soleil rapporte que « […] la Banque Royale est dans l’obligation de prendre cette décision parce que, étant donné “ le nombre grandissant de leurs employés qui s’enrôlent dans l’armée et d’autres difficultés amenées par la guerre, les banques en général se voient forcées de réduire le nombre de leurs succursales ” ». Voir « Succursale de la B. Royale fermée », Le Soleil, 26 septembre 1942, p. 10.

[8] Ce déménagement, coïncide, à quelques mois près, avec l’incendie du siège social en juin 1956

[9] En 1958, de nouveaux numéros d’adresses sont assignés aux immeubles de la rue Saint-Jean. Le 219 devient, à ce moment, le 873 rue Saint-Jean

[10] De cette union nait la Banque Canadienne Impériale de Commerce, mieux connue de nos jours par son sigle « CIBC ».

[11] Des messages annonçant la disponibilité de locaux au 873 rue Saint-Jean paraissent dans les journaux de Québec à l’automne de 1975.

Abréviations des centres d’archives

AVQ: Archives de la Ville de Québec

BAnQ: Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Sources

Documents d’archives

Plusieurs périodiques ont été consultés sur la plateforme numérique de Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Il s’agit essentiellement des journaux Le SoleilL’Action catholique, Le Devoir et The Quebec Chronicle.

Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Fonds Philippe Côté, P225. Dossier « Édifice de la Corporation de Prêt et Revenu plan no. 588 », 1951, D109.

« 873, rue Saint-Jean ». Documents historiques numériques. Ville de Québec, non daté.

Ouvrages et articles

MCDOWALL, Duncan. Banque Royale : au cœur de l’action. Trad. de l’anglais par Gilles Gamas. Montréal, Éditions de l’Homme, 1993, 519 p.

PARÉ, Jean-Pierre. Les banques au Québec. Québec, Éditions GID, 2008, 413 p.

VALLIÈRES, Marc. « Québec à l’ère des chemins de fer et de l’industrie ». Histoire de Québec et de sa région. Tome II : 1792-1939. Québec, Presses de l’Université Laval, 2008, p. 1095-1196.

VATTAY, Sharon et Harold D. KALMAN. « Architecture des banques ». L’Encylopédie canadienne. Historica Canada, 2015.