Le Marché Berthelot est un ancien marché public de la Ville de Québec, situé à l’emplacement de l’actuel Parc Berthelot. Ouvert en 1835, il a été en opération jusqu’en 1915, puis à nouveau dans les années 1930 après la fermeture du Marché Montcalm (Place d’Youville). Il fut finalement détruit en 1965i.

Le 19ème siècle représente l’âge d’or des marchés publics à Québecii, et la croissance démographique des faubourgs rendait nécessaire l’ouverture d’un tel espace. C’est l’occasion pour les producteurs locaux de vendre directement leurs produits aux consommateurs: viande, fruits, légumes, œufs, etc., et pour les consommateurs de se procurer ce dont ils ont besoin plusieurs fois par semaine.

Le marché se trouve aux frontières des faubourgs Saint-Jean (au nord de la rue Saint-Patrick, aujourd’hui Saint-Gabriel) et Saint-Louis (au sud du Marché Berthelot). Source: Insurance plan of the city of Quebec, Canada 1910-1922 / Chas. E. Goad, civil engineer. Chas. E. Goad Co., Underwriters’ Survey Bureau, Montreal. Via BAnQ

Jusqu’à son ouverture, les résidents des faubourgs Saint-Jean et Saint-Louis devaient se rendre au Marché Montcalm, situé Place d’Youville, et qui était en opération depuis 1878iii. Michel Berthelot (1774-1840), notaire, et son frère Amable Berthelot (1777-1847), avocat et homme politique, avaient fait don à la Ville 16 février 1825 d’un terrain de 330 pieds sur 90 pieds pour qu’elle y ouvre un marché public, à perpétuité. “Si la Ville, pour quelques raisons que ce soit en changeait la destination, le dit terrain revenait aux donataires ou à leurs héritiers”iv. Ce n’est qu’en 1922 que le Conseil municipal verse aux héritiers Berthelot une somme pour la rétrocession du terrain. La Ville était désormais seule propriétaire du terrain et de l’immeuble.

Le bâtiment est conçu pour s’adapter au terrain en pente. Trois coupes du marché montrant son rapport avec la pente du terrain, les différents niveaux du sol et les niveaux proposés. Indication des rues: Nouvelle, Saint-Jean et Saint-Joachim. Source 

En 1945, le bâtiment, bien que n’étant plus utilisé comme marché, avait gardé sa forme initiale. Illustration tirée de Le soleil, 1896- (Québec), 30 décembre 1945, via BAnQ

Un premier marché, construit en bois, ouvre au public en 1835. Ce n’est qu’en 1866, 30 ans plus tard, qu’on décide de construire une véritable halle, et le contrat est accordé aux entrepreneurs J.-B. Bertrand & ciev. La nouvelle halle, dont on doit les plans à l’ingénieur Charles Baillairgévi, est faite de briques et de pierres et ne compte qu’un étage au début. Un deuxième étage y est ensuite ajouté, pour y abriter des assemblées publiques.

Insurance plan of the city of Quebec, Canada 1910-1922 / Chas. E. Goad, civil engineer. Chas. E. Goad Co., Underwriters’ Survey Bureau, Montreal.
Source BAnQ

A proximité du Marché, on retrouve une citerne d’eau, de 30 pieds de large et 25 pieds de profondeur, ainsi qu’un poste de police. Au sud du marché, on retrouve un garage (en gris ci-contre) et une épicerie (en jaune et rose), dans un bâtiment qui sera occupé par un plombier dans les années 1950.

Un lieu de socialisation

Car le marché est aussi un endroit de socialisation, notamment politique. Les journaux d’époque font d’ailleurs plusieurs fois mention de réunions qui se tiennent au Marché Berthelot après les vêpres (après 18h généralement):

  • Le 7 avril 1853 s’y tient une assemblée publique, pour “qu’un comité de 100 membres, dont 20 forme­ront un quorum, soit nommé pour dresser un bill pour la régie de la corporation de Québec, en con­formité, autant que possible, avec les opinions émises, dans le cours de la séance de cette as­semblée, pour les différents orateurs, et le dit comité devra s’aboucher avec les membres libéraux du conseil de villevii
  • le 15 juillet 1872 s’y tient “une assemblée des électeurs de Québec-centre, convoquée dans le but de faire choix d’un candi­dat pour cette circonscriptionviii.

On y tient d’autres réunions, comme cette “séance antialcoolique avec projections lumineuses, donnée par les Pères Odoric et Joachim, o.f.m.” en 1909ix. C’est en 1899 que les Zouaves pontificaux s’installèrent à l’étage supérieur du Marché Berthelot, et on ne s’étonnera guère que la nature des réunions qui devaient s’y tenir ait évolué pour s’accorder avec les valeurs des Zouaves.

Intérieur de la halle Berthelot, occupée par l’Association des zouaves de Québec, en mai 1959. Collection iconographique de la Ville de Québec – Association des Zouaves de Québec – Cote CI-N010555

Annonce de rassemblement parue dans La Vigie, 1906-1913 (Québec), mardi 19 septembre 1911, via BAnQ

Mais jusqu’à la fin de son histoire, la salle est régulièrement louée par des partis politiques. “Pour ne citer que quelques chefs politiques qui y adressèrent la parole, on remarque Sir Wilfrid Laurier (dès le début de l’existence de la Halle), Ernest Lapointe, l’honorable MacKenzie King; Sir Lomer Gouin, Onésime Gagnon; l’hon. Adélard Godbout. Plus près de nous, Maurice Duplessis. Louis Saint-Laurent et Jean Lesage y tinrent des assemblées politiques”x.

Lors du grand incendie de 1881, qui rase une grande partie du quartier Saint-Jean-Baptiste, les “pompiers firent des efforts inouïs pour épargner la halle et le faubourg St.Louis si souvent visité par l’élément destructeur, ils réussirent en partie. Le feu passe devant la halle, réduisant en cendres les maisons des rues St-Gabriel et Nouvelle suivant toujours sa direction vers le sud ouest. La halle était épargnéexi. La même année, les commerçant se plaignent de l’étroitesse du marché et présentent une requête “demandant au Conseil [municipal] de faire agrandir le marché, afin de lui donner un peu plus d’importance, ou bien de diminuer leur prix de loyerxii.

Le marché, lieu de vie grouillant d’activité. Le Marché Berthelot à Québec, gravure de Simone Hudon (1905-1984), Québec, s.n.,ca 1935. Source: BAnQ

On peut avoir une idée de l’ambiance du marché, des commerçants qui y tiennent un étal et de ceux que les habitants du quartier peuvent y acheter à la veille de Pâques en 1901: on y trouve “les plus beaux étalages qui se puissent voir. Mentionnons au passage M. L. Bélanger a un étalage des mieux garni (sic) de bœuf, veau, agneau et tout ce qui peut tenter les gourmets. Il en est de même de M. B. Rondeau dont l’étal est bien fourni de toutes les viandes les plus appétissantes. M. Alf. Giroux possède un excellent assortiment de lard, jambon, etc. M. Z. Dinel expose deux bœufs de 700 livres et un de 800, son assortiment d’agneaux est des plus complets. […] M. Couillard a un assortiment complet de viandes de Pâques; on peut en dire autant de M. T. Chabot dont la spécialité est le lard. L’étal de M. Damien Matte est comme les années dernières des mieux garni: on y admire de forts beaux spécimens entr’autres une taure de 900 livres de viande, un veau de 300 et une quantité d’autres belles viandes de Pâques. M. Matte donnait ce matin à ses pratiques de superbes roses naturellesxiii. Las, les bouchers quittent peu à peu le marché dans les années 1920.

Cette photographie datée du 15 mars 1956 permet de voir que jusqu’à la fin des années 1950, le marché était encore utilisé, notamment pour vendre du poisson.
Collection iconographique de la Ville de Québec – Association des Zouaves de Québec – Cote CI-N010554. Source

Le Marché public de Montcalm ferme ses portes en 1929 pour permettre la construction du Palais Montcalm. De nombreux marchands investissent alors le Marché Berthelot, qui avait pourtant été fermé en 1915. Et en 1931, le Marché est à nouveau jugé trop exiguxiii; cultivateurs et clients se plaignent. “Les commodités élémentaires sont dites inexistantes, et plusieurs requêtes ont déjà été adressées aux représentants municipaux. Les cultivateurs avaient été chassés de l’ancien marché Montcalm, et se retrouvaient entassés dans un espace d’un millier de pieds carrés. Juste assez pour loger une douzaine de voitures chargées de leurs produits maraîchers” peut-on lire dans Le Soleil du 22 octobre 1931. Les rues avoisinantes (Saint-Patrice, des Zouaves, de la Chevrotière) étaient encombrées.

Une plainte que l’on peut aisément comprendre, car même quelques années après la fermeture du marché, il était encore bien difficile de circuler avec un véhicule utilitaire autour de l’édifice.

Photographie datée du 18 octobre 1963, montrant un camion tournant sur la rue Saint-Patrick. On y voit la halle Berthelot, à gauche de l’image. La vue a été prise en direction est.
Source: Archives de la Ville de Québec Q-C1-14-N006650

On réclame son agrandissement: “À proximité de la halle Berthelot, n’y-a-t-il pas d’an­ciennes masures que notre ville pourrait se procurer pour le prix d’une chanson. Le garage Berthelot ne ferait-il pas aussi un marché idéal, son propriétaire dut-il consentir à s’en défaire pour le bien communxv. Le dit propriétaire du Garage Berthelot J.-P.-J. Godreau, se plaint d’ailleurs régulièrement “des ennuis de toutes sortes qu’il était obligé d’endurer du fait que l’on empiétait sur son terrain, les jours de marché, au point que c’est avec de très grandes difficultés qu’il pouvait opérer son entreprisexvi. En 1936, M. Godreau offre d’ailleurs “une étendue de terrain de 12,000 pieds carrés pour une somme de $25,000. Le paiement de cette somme et des intérêts pourrait s’effectuer en 25 ans à raison de $851.50, ce qui ferait 50 paiementsxvii.

Se pose en outre un problème de sécurité bien connu des résidents des faubourgs: “En terminant, nos conseillers municipaux savent-ils que le marché ac­tuel est sis exactement sur le puisard en béton armé contenant des milliers de gallons d’eau, en cas d’incendie à cet endroit. Dut-il se produire quelque commencement d’incendie au marché Berthelot, en un jour de marché, nous nous figurons ce qu’il adviendrait avant que les voitures de nos cultivateurs soient déplacées (et ce ne serait pas chose facile, tellement elles sont serrées l’une contre l’autre) pour atteindre le puisard, quelle belle flambée nous aurions làxviii.

En 1945, l’immeuble semble être devenu “pratiquement inutile”xix, abandonné progressivement par les commerçants, et est complètement désaffecté comme Halle. La Ville cède alors le bail aux Zouaves de Québec, pour faire du bâtiment une caserne semi-militaire et un centre “d’activités sociales, patriotiques et religieuses, à la manière Zouave”xx. Les Zouaves s’engagent alors à payer pour les travaux d’entretiens intérieurs et extérieurs, ainsi que pour l’installation immédiate d’une fournaise pour chauffer partiellement l’immeuble.

L’édifice est lourdement endommagé en octobre 1962, lorsqu’un violent incendie éclate au rez-de-chaussée. “Un mégot de cigarette serait à l’origine de cet incendie. Le feu a été découvert sous le grand escalier de l’entrée principale, à proximité d’une chambre de toilette et d’une salle de débarras. Il s’en fallut de près que le feu ne grimpe au second étage, là où avait lieu une soirée récréative des Zouaves et de leurs amis. Seule l’extrémité ouest de la vaste bâtisse n’a pas été touchée par le feu ou la fumée. Dans cette partie se trouvent les archives du régiment, du 1er bataillon et de la 1ère compa­gnie des Zouaves pontificauxxxi. La Ville laisse alors le bâtiment se dégrader.

Le soleil, 1896- (Québec), samedi 24 avril 1965, via BAnQ

Dès 1950, la Ville avait pourtant reçu l’autorisation de vendre de gré à gré la Halle, grâce au Bill 156, ce qui aurait permis aux Zouaves de racheter l’ensemble. “Au mois d’octobre 1962, éclatait un incendie qui devait détruire une partie de la construction. M.Trudel a révélé que les autorités de la ville ont reçu une somme de $5,000 de la compagnie d’assurances, mais que jamais aucune réparation n’a été faitexxii. Il faut dire que le quartier subit alors de plein fouet la rénovation urbaine, et que la préservation d’un bâtiment ancien ne fait vraisemblablement pas partie du plan de développement de la Ville, qui préférerait voir passer là un boulevard urbain.

Cette photographie est datée de 1963. On remarque le marché Berthelot à gauche, qui vit ses dernières heures. Source: Archives de la Ville de Québec, Fonds W.B. Edwards inc. Cote P012-N024030.

Alea jacta est. Le bâtiment est rasé en 1965xxiii. Par la suite, le terrain demeure longtemps un stationnement à ciel ouvert, avant qu’un parc n’y soit finalement ouvert, et qu’une lutte populaire ne s’engage pour la construction de coopératives d’habitation à proximité. Mais c’est une autre histoire…

Les voitures ont remplacé l’édifice, et l’endroit semble bien moins animé depuis que le Marché Berthelot a été rasé 8 ans plus tôt (la photographie est datée de décembre 1973).
Source: Archives de la Ville de Québec, Fonds de Gérard Donnelly. Cote P059-N404127.

Vue aérienne du Parc Berthelot en 1980. Il ne reste qu’un terrain vague, sur lequel les voitures se stationnent. Source: Archives de la Ville de Québec, Q-D1-11-N402518

Références

i Mercier, Louise. « Autrefois, les marchés de Québec. » Continuité, numéro 98, automne 2003, p. 44–46. Lire en ligne.

ii Bergeron, Yves. « Le XIXe siècle et l’âge d’or des marchés publics au Québec. » Journal of Canadian Studies/Revue d’études canadiennes, volume 29, numéro 1, printemps 1994, p. 11-36.

iii Les Marchés, Ville de Québec. Lire en ligne.

iv Le soleil, 1896- (Québec), dimanche 30 décembre 1945, via BAnQ

v Le soleil, 1896- (Québec), dimanche 30 décembre 1945, via BAnQ.

vi Mercier, Louise. « Autrefois, les marchés de Québec. » Continuité, numéro 98, automne 2003, p. 44–46. Lire en ligne.

vii Le Journal de Québec, 1842-1889, 9 avril 1853, samedi 9 avril 1853, via BAnQ

viii Le Courrier du Canada, 1857-1901 (Québec), lundi 15 juillet 1872, via BAnQ

ix Bulletin des recherches historiques, juin 1911, Lévis :Pierre-Georges Roy, 1895-1968, via BAnQ

x Le soleil, 1896- (Québec), samedi 24 avril 1965, via BAnQ

xi Le Quotidien, 1879-1937 jeudi 9 juin 1881, via BAnQ

xii L’Électeur, samedi 22 octobre 1881, via BAnQ

xiii Le Courrier du Canada, 1857-1901 (Québec), samedi 6 avril 1901, via BAnQ

xiv Le soleil, 1896- (Québec), jeudi 22 octobre 1931, via BAnQ

xv Le soleil, 1896- (Québec), jeudi 22 octobre 1931, via BAnQ

xvi Le soleil, 1896- (Québec), vendredi 22 janvier 1932, via BAnQ

xvii Le Quotidien, 1879-1937, mercredi 8 avril 1936, via BAnQ

xviii Le soleil, 1896- (Québec), jeudi 22 octobre 1931, via BAnQ

xix Le soleil, 1896- (Québec), dimanche 30 décembre 1945, via BAnQ

xx Le soleil, 1896- (Québec), dimanche 30 décembre 1945, via BAnQ

xxi Le soleil, 1896- (Québec), lundi 22 octobre 1962, via BAnQ

xxiii Le soleil, 1896- (Québec), samedi 24 avril 1965, via BAnQ