Avec Mononk Jules, écrit et joué par Jocelyn Sioui, le Théâtre Périscope termine l’année 2021 en beauté. L’œuvre, à la fois délicate et percutante, nous plonge dans l’histoire des peuples autochtones canadiens, une histoire soigneusement et méticuleusement passée sous silence par le Canada.

Jules Sioui est le grand-oncle de Jocelyn Sioui, “l’un des plus grands héros autochtones du vingtième siècle qui a chuté dans un énorme trou de mémoire”. Tout au long du spectacle, Jocelyn Sioui ravive la mémoire de cet oncle plus grand que nature, de mammouth Jules. De traces en traces, il reconstitue l’homme, ses combats, ses faiblesses.

Jocelyn Sioui navigue au cœur de l’Histoire, avec un grand H, écrite par les vainqueurs, ceux qui, comme Duncan Campbell Scott ont tout mis en œuvre pour trouver “une résolution finale à notre problème indien”. Il explore les traces, les micro-mythes qui naissent et grandissent au sein des cellules familiales et qui agissent en miroir de l’histoire officielle. Histoires intimes, histoires extimes, Mononk Jules nous montre comment l’homme peut être l’architecte de son propre mythe et comment on peut laisser des traces archéologiques de soi comme d’autres gravent leur folie dans des parquets.

“Notre histoire est sale mais nous sommes en devoir de la raconter” dit l’interprète. Le spectateur ne pourra qu’apprécier la façon dont l’auteur revisite l’histoire officielle, de manière tantôt drôle (on pense très fort aux Monty Pythons par moment), tantôt poignante, toujours réaliste. On en viendrait même à penser que si l’histoire était ainsi enseignée dans les écoles, les relations avec les Premières Nations ne pourraient que s’améliorer. Mais Jocelyn Sioui ne se contente pas de redonner une voix à l’histoire subie par les autochtones; il nous rappelle également l’importance du recul critique et de déboulonner les mythes.

Marionnettiste de talent, l’auteur et interprète intègre de nombreux supports visuels à sa mise en scène richement documentée. Boîtes d’archives qui révèlent des bouts d’histoire, écrans qui s’animent d’images historiques, marionnettes délicates, Jocelyn Sioui nous peint un riche portrait, d’une touchante sensibilité.

Ce théâtre-documentaire se conçoit comme un spectacle évolutif, une aventure. On peut faire des découvertes sur son sujet jusqu’à la toute fin du processus d’écriture. Ou ce sont les événements qui entrent en résonance avec le sujet, que ce soit la mort de Joyce Echaquan ou ces milliers d’enfants enterrés anonymement autour de pensionnats, dont on a effacé jusqu’au nom. Les spectateurs de Québec retrouveront dans Mononk Jules des noms ou des décors qui leur sont familiers. Les territoires de Wendake, la Réserve des Quarante Arpents (Val-Bélair) et les noms comme Sioui ou Bastien (l’occasion d’en apprendre plus sur la toponymie du boulevard!) ont un écho particulier. Ces noms qui font partie de notre quotidien sont autant de traces qu’on choisit d’ignorer, plus ou moins consciemment.

Car Mononk Jules est avant tout une histoire de traces. Quelles traces laisserons-nous, au-delà même de l’histoire officielle? Qu’on ne s’y trompe pas: “ce sont les autres qui décident des traces qu’on laisse, malgré tous nos efforts” nous dit l’auteur, qui nous rappelle également que “les gens sont des musées fragiles”, “des expositions temporaires”. À nous de préserver ces traces, de les inscrire dans nos mémoires collectives et d’être capable de regarder l’histoire en face, même si cela doit froisser nos égos.

Informations

  • Du 8 au 18 décembre au Théâtre Périscope
  • Billets
  • Texte et mise en scène, distribution: Jocelyn Sioui
  • Scénographie et confection des marionnettes et accessoires : Mélanie Baillairgé
  • Conception vidéo: Gaspard Philippe
  • Conception et composition sonore : Luzio Altobelli
  • Conception d’éclairage :Mathieu Marcil
  • Direction Technique et régie vidéo : Julien Mercé
  • Assistance à la mise en scène, direction de production et régie Ariane Roy