Nous publions chaque mois un extrait de l’autobiographie de Malcolm Reid, écrivain résidant depuis de nombreuses années dans le Faubourg, et citoyen engagé. Il habite Québec depuis longtemps, mais pas depuis toujours. Ici, par tranches, il écrit le récit de son chemin vers… Chaque premier samedi du mois, nous vous proposons un chapitre de « Roosevelt Avenue ».
McGill, ça a un cachet.
Il n’y a pas à dire. Du cachet, du prestige, du brillant…
C’est une université privée, fondée en 1821 avec la fortune de James McGill, un commerçant de fourrures.
« It’s the university of the wealthy in Montreal« . Il me semble entendre ma m`re dire ça quand j’avais dix ans.
Pourtant, ma mère et mon père avaient tous les deux des liens sentimentaux avec cette université. Et je peux dire que mon père espérait beaucoup que j’irais étudier là.
Ma mère, son attache pour son vieux campus était moins conventionnelle, plus teintée d’esprit critique. Elle était manitobaine. C’est à l’Université du Manitoba qu’elle avait obtenu son bacc. McGill est venu plus tard, quand elle a ressenti le désir de devenir travailleuse sociale. Elle avait eu vent de la McGill School of Social Work.
« Je pense que je m’imaginais endossant un uniforme bleu et allant aider les pauvres » disait-elle quand j’étais petit.
Le fait de quitter sa prairie et d’aller dans ce qui était alors la grande ville du Canada a sûrement joué aussi. Toutes ses études universitaires, elle les a payées elle-même, à partir de jobs attrapées dans les hôtels des Montagnes Rocheuses, comme serveuse de table au Jasper Park Lodge et au Château Lake Louise. Sa famille était trop pauvre pour envoyer ses filles à l’Université. Mais elle et sa soeur Anne visaient l’Université, en travail social pour Anne aussi.
Montréal! Où opéraient la Compagnie de la Baide d’Hudson, la NorthWest Company, la Banque de Montréal, le Canadien Pacifique, le Canadien National, la Brasserie Molson, la distillerie Seagram’s et la Macdonald Tobacco Company, réputée le plus grand mécène de l’Université McGill.
Et je dirais que son attache n’était pas pour le campus de l’Université. Non. C’était pour la rue Saint-Mathieu dans l’ouest du centre-ville. Là, elle et Anne avaient trouvé un appartement et ont commencé leur vie de Filles Indépendantes. Elles menaient leur barque, loin du village de Saint Andrews au nord de Winnipeg, avec sa population moitié faite de Métis qui avaient travaillé dans le fur trade dirigé à partir de Montréal. C’était cette vie de quasi-bohème dans la grande ville de l’Est qu’était McGill pour Charlotte.
Un Montréal estudiantin dans la grande crise économique des Dirty Thirties, où tant de jeunes gens ne trouvaient pas de travail.
Pour Ewart, mon père, dont la famille n’était pas, non plus, très riche, la marche était plus conventionnelle. C’était la marche de Westmount High School jusqu’à McGill (une marche que feraient plus tard mon cousin Kenneth et son confrère de classe Leonard Cohen!). Un quart d’heure en tramway.
C’est sur le campus, vers 1931, qu’allait avoir lieu la rencontre, la romance, qui ferait de moi et mon frère Ian le mélange d’influences qu’on serait. Déjà au Manitoba, Charlotte avait subi des influences de gauche. La politique allait lier ces deux sweethearts de campus.
Car McGill University avait un fort côté de gauche en 1931. Norman Bethune, le médecin communiste qui s’impliquerait plus tard en Espagne et en Chine, enseignait là. Le Student Christian Movement s’intéressait au christianisme social. Il invitait James Shaver Woodsworth, le preacher-député du North End de Winnipeg, à prendre la parole, et Ewart et Charlotte y assistaient (même si leur foi protestante faiblissait rapidement face aux idées de George Bernard Shaw).
Écoute Anne Clare, ma tante: « Quand, en ’36, André Malraux est venu défendre les républicains d’Espagne à Montréal, les jeunesses fascistes manifestaient contre lui. Nous, on écoutait chaque mot de son discours. Et Malraux a oublié une paire de gant chez le poète Leo Kennedy. Hé, quel frisson ça nous donnait! ».
C’est le « McGill de gauche » que je décris.
Moi, à 17 ans en 1958, je me demandais si j’irais à cette université qui m’avait été contée. Si je pouvais aller à McGill. Et si je voulais aller à McGill.
Je savais que le temps avait passé. Ce McGill de 1936, je ne le retrouverais pas. La Deuxième Guerre, l’après-guerre, l’arrivée de la société de consommation… McGill était sûrement redevenue une institution conservatrice. Je pourrais aussi bien aller à l’Université Carleton, à Ottawa, beaucoup moins traditionnaliste. J’ai dit à Ewart: « Mes notes à l’école n’ont jamais été extraordinaires, Dad. Je suis bon en anglais, en géographie, en histoire. En maths et en sciences, je passe de justesse. McGill ne va pas aimer ça. Mais à Carleton, je serais dans une nouvelle tradition, non? ».
« Mais oui, Malco! C’est pas grave que tu n’étudies pas à mon université… L’important, c’est d’étudier, et d’aimer étudier ».
Mais McGill m’a accepté!
Alors un jour, j’ai pris un taxi pour la Gare Union, près du Parlement à Ottawa. J’allais renifler l’air de Montréal.
Sur le plancher du taxi, quelqu’un avait mis des pages du journal Le Devoir, pour absorber la pluie sur les bottes. J’ai lu:
Ah!
Le train m’amènerait dans un nouveau Montréal. « Ça peut être aussi intéressant que le Montréal de 1936. Davantage, même. Plus excitant, même. Hé, je vais peut-être même apprendre le français! ». C’était mes pensées.
« Montréal change. Montréal bouge ».
Retrouvez ici le quarante-huitième chapitre de Roosevelt Avenue.
Copyright Malcolm Reid
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