Albane, que l’on peut voir au Premier Acte jusqu’au 4 février, est une variation tragique sur les secrets de famille qui nourrissent les tragédies sur plusieurs générations. Une réussite, tant dans l’écriture que dans la facture.
Dréa a trois enfants : Nathan, Albane et Héloi. Si Nathan est le fils biologique de Dréa, Albane et Héloi ont été adoptés. Les meilleures tragédies se déroulant en famille, les usuelles chamailleries fraternelles prennent un tournant funeste le jour où Nathan tue Héloi dans un excès de rage. Et c’est tout un engrenage fatal qui s’enclenche, d’autant plus sinistre qu’il s’épanouit en secret de famille qui lentement, méthodiquement, va violemment détricoter toutes les mailles familiales, sur plusieurs générations.
L’histoire est racontée à travers les yeux d’Albane, 16 ans, qui, suite au suicide de sa mère, découvre son histoire familiale. Elle se retrouve face à Albane, sa grand-mère, et à toute la tragédie qui l’a menée au monde. La pièce nous permet de réaliser que la vie est parfois (toujours?) une série de fantômes que l’on traîne avec soi, et que les secrets de famille rongent les êtres aussi efficacement que la rouille les meilleurs matériaux dès lors qu’on ne les protège pas. Pour l’auteure Odile Gagné-Roy, marquée par l’assassinat de son frère Charles à 17 ans, la mort est un prisme à travers lequel elle voit la vie. “Rien ne naît, rien ne meurt, tout se transforme” peut-on entendre dans Albane, qui reprend la formule de Lavoisier pour l’appliquer aux familles.
Tant le texte que la mise en scène sont riches en symboles et références culturelles. Il y a dans Albane un travail de fond colossal, qui intègre le meilleur du théâtre classique et antique, résultat de quatre ans de travail pour l’écriture et la mise en scène. Les gestes séquentiels, les chorégraphies, les masques rappelant les masques antiques, les douleurs exacerbées, tout est savamment dosé et utilisé justement, au bon moment. Tout comme la mise en scène, le maquillage et les effets sur les voix, à la fois simples, monstrueux, subtilement grotesques. La pièce dissèque habilement la violence intrafamiliale, le poison des secrets de famille et le cercle vicieux qui nous condamne à répéter les mêmes gestes de génération en génération.
“Nous mourons à tous les jours. Comme si nous nous pratiquions à mourir. Nous répétons notre histoire dans un désordre qui brûle les yeux. La vie humaine est insignifiante et c’est justement ce qui la rend merveilleuse” dit Odile Gagné-Roy. Raison de plus pour aller voir Albane, qui nous propose ce que le théâtre peut offrir de mieux: une réflexion lumineuse sur nos drames intimes et donc universels. Ni revendicateur, ni moraliste, cette production de la compagnie La bouche _ La machine, cofondée par Odile Gagné-Roy et Marie-Ève Lussier Gariépy (qui interprète également Emma, fille et mère d’Albane) nous offre un spectacle qui invite à (re)nouer le dialogue avec celles et ceux qui nous précèdent et dont nous héritons beaucoup plus que de simple gènes…
Informations complémentaires
- Billets et informations
- Texte et mise en scène: Odile Gagné-Roy
- Dramaturgie: Marie-Ève Lussier-Gariépy
- Interprétation: Noémie F. Savoie, Odile Gagné-Roy, Myriam Lenfesty, Marie-Ève Lussier-Gariépy, Vincent Paquette, Thomas Royer, Dayne Simard
- Durée: 1h30
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