Nous publions chaque mois un extrait de l’autobiographie de Malcolm Reid, écrivain résidant depuis de nombreuses années dans le Faubourg, et citoyen engagé. Il habite Québec depuis longtemps, mais pas depuis toujours. Ici, par tranches, il écrit le récit de son chemin vers… Chaque premier samedi du mois, nous vous proposons un chapitre de « Roosevelt Avenue ». 

Quand je suis arrivé sur le campus de McGill à l’automne de 1960, l’air de ce campus était différent. Il avait changé. Peut-être beaucoup de villes universitaires dans le monde étaient dans le même beat.

En Grande-Bretagne, les jeunes se groupaient pour dire non aux armes nucléaires. Ils marchaient d’Aldermaston, site d’une base nucléaire britannique, jusqu’au cœur de Londres. Hiroshima et Nagasaki étaient quinze ans en arrière de nous. Mais on dirait que le sens de ces deux explosions de bombes atomiques américaines sur le Japon en 1945 commençaient à entrer dans l’esprit des gens. Ils inventaient le symbole Peace and Love.

Un mouvement de jeunes?

Oui, mais en Angleterre un très vieil homme était une clé: il s’appelait Bertrand Russel. Sa photo était souvent dans les journaux.

Il avait les cheveux blancs et un visage maigre et intense. Un visage souvent sérieux, mais occasionnellement il avait un sourire malin, riant des folies de l’humanité. Il avait 86 ans.

Russel avait déjà été un philosophe controversé dans les débuts du vingtième siècle, renvoyé d’un poste de professeur invité à New York, pour athéisme. Il était prix Nobel de littérature en 1950 pour le style tranchant et clair de ses essais libertaires et la satire de son roman Satan in the suburbs. Il était sévère pour l’Union Soviétique, mais néanmoins un esprit foncièrement radical. Il inspirait. Et il était un Lord héréditaire et donc avait son siège à la Chambre des Lords. Il dit que là, il avait d’abord envisagé une attaque nucléaire préventive contre la Russie… Mais quand il a vu les russes fabriquer leur bombe atomique à eux, il a changé d’idée. Il fallait faire pression sur tous les états qui détenaient cette arme qui pouvait anéantir l’humanité. L’équilibre de la terreur était une absurdité pour lui, et il était prêt à aller en prison pour cette idée. Il a fondé le Comité des Cent, l’aile la plus radicale du mouvement de la paix.

À McGill, j’ai vu un mouvement se former autour de ce thème: The Combined Universities Campaign for Nuclear Disarmament (CUCND). Le mouvement a fondé un journal, Sanity. Et ses partisans s’abonnaient au journal britannique du mouvement, Peace News.

Soudain, je voyais une gauche active autour de moi. Ce qui n’était pas du tout la note caractéristique de ma précédente année à McGill, ’57-’58. À cette époque, nous peinions pour garder notre Socialist Society vivante. Il y avait de grandes manifestations maintenant, et l’enjeu était discuté – pas en classe, non. Mais dans le café du McGill Union. (En classe on parlait parfois de la crise de l’Algérie, qui avait lieu en même temps. Mon prof de latin disait: « Les français d’Algérie – ils essayent de sauter en dehors de la loi, j’dirais »).

Je me souvenais d’avoir discuté de la menace nucléaire avec un jeune homme d’esprit conservateur à Ottawa, et ce jeune homme m’avait dit: « Malcolm, quand j’ai vu l’effet de la guerre sur les soldats canadiens en 1944, j’ai bien vu que c’est pas l’arrivée de la bombe atomique qui rend la guerre insupportable. C’est la guerre elle-même ».

J’étais d’accord. « Mais un mouvement est en train de se former autour de la menace nucléaire, et je ne vais pas rater ce train ».

C’était une nouvelle gauche, ni communiste, ni sociale-démocrate. Tendant vers l’anarchisme. L’expression venait de la Universities and Left Review… devenue, jusqu’à ce jour, la New Left Review, publiée à Londres.

À McGill, je dirais que cinq amitiés structuraient cette gauche pour moi. Il y avait Dan Daniels, qui déjà, vers l’âge de 50 ans, avait fait une conférence devant notre Socialist Society, en ’58. Il avait été syndicaliste, ce qui lui donnait une crédibilité radicale – « On mettait du sucre dans les moteurs des camions des patrons quand j’étais en grève avec le Syndicat des Marins des Grands Lacs en ’52. Le sucre, ça stoppe un moteur net! ». Mais la non-violence le fascinait maintenant:

« Il faut que nos moyens pour la justice sociale et contre la guerre soient en accord avec le but qu’on cherche. Mon héros était Lénine. Maintenant, c’est Gandhi ». Son nouveau métier était auteur de théâtre et il m’a recruté pour des sketchs anti-militaristes pour nos manifestations.

Le second ami était plus épineux et plus difficile à connaître. C’était Dimitrios Roussopoulos. Dimitrios dirigeait la Maison de la Pais sur la rue Sainte-Famille, et il était le stratège du mouvement, le bureaucrate. Il était de famille gréco-montréalaise et admirateur de Gregory Lambrakis, le leader pacifiste de gauche assassiné en Grèce.

Le troisième ami était André Cardinal, un jeune homme de Waterloo, Québec, venu à Montréal à la recherche des mouvements sociaux, qui manquaient un peu dans les Cantons de l’Est. Cheveux roux, caractère explosif et ardent.

On s’est rencontré dans les manifs et les réunions, et plus tard, on se rencontrait dans le Nouveau Parti Démocratique. « Malcolm m’a réveillé de mon complexe de colonisé… je switchais en anglais à chaque fois que nous parlions. Il m’a dit: « André, stop! Parle-moi en français. Ne suppose pas que les anglophones ne parlent que leur langue et l’imposent aux francophones. Ça c’est du passé, ça ».

En effet, j’avançais dans ma maîtrise du français. Et André et moi allions être tous les deux influencés par une revue parue en 1963, parti pris (écrit sans majuscules). Les membres de parti pris, le groupe, combinaient leur indépendantisme québécois avec leur socialisme. Ils voyaient la force du français-de-la-rue qu’on appelait le joual.

André m’a présenté à Anne-Marie Hill, une fille du nord de l’Ontario qui était aussi coriace que les garçons comme militante du pacifisme nucléaire et du socialisme. Elle était artiste-peintre aussi.

Anne-Marie était grassette, jolie, tendre, mais elle pouvait déployer une crudité de langage directement sortie des villes minières. Quand, par exemple, en distribuant des tracts, elle disait: « Ces deux filles de l’autre côté de la rue sont comme des sœurs – les mêmes faces, les mêmes bras, les mêmes culs! ».

« Elle est beaucoup plus savante que moi, cette fille-là, m’a dit André, elle a lu Russel, t’sais? Elle a lu Simone de Beauvoir, elle a lu Lévi-Strauss… »

Anne-Marie est décédée jeune. Réjeanne et moi avons eu une visite d’elle à Toronto en 1968, quand on était là pour mon travail au Globe and Mail. « Malcolm et Réjeanne! J’pensais pas vous retrouver à Toronto! J’ai amené une bouteille de Canadian Club. I hope you like the stuff…? On a jasé du bon vieux temps à McGill et à la Maison de la Paix, cinq ans avant. Mais peu de temps après on a appris que sa santé flanchait et elle nous a quittés. Premier décès de ma gang de la Nouvelle-Gauche montréalaise du début des années 1960.

Stan Gray avait un rôle de leadership dans la Nouvelle-Gauche McGilloise (et de Sir George Williams University, devenue depuis Concordia). Je jasais avec lui parfois, mais le lien était moins intime. À une réunion de stratégie dans le salon de quelqu’un, il pouvait dire, sourcilleux, « Hé-hé, certains de nos gens pensent plus au sexe qu’au mouvement! ».

Stan était un grand gaillard, et sa fière allure (sinon ses paroles) disait: « Mais j’ai ma love-life moi aussi ».

Un gars avec qui je me suis lié plus personnellement cette année-là pourrait compter comme ma sixième amitié. Forte mais brève. C’était Herbie Inhaber.

Herbie voyait les choses comme les autres activistes de la CUCND (devenue depuis SUPA – Student Union for Peace Action) sur le campus. Il disait:

« Le mouvement des travailleurs du Canada, et le parti socialiste actuellement au Parlement à Ottawa, le CCF, vont faire un gros move cet été. Ils vont fonder un parti politique, qu’ils appellent pour le moment Nouveau Parti, et il semble que c’est Tommy Douglas, le premier Ministre de la Saskatchewan, qui va être élu chef de ce parti. Ça va avoir un plus large rayonnement que le CCF a eu. Malcolm, il faut qu’on soit là. Il faut qu’on pousse pour que ce Nouveau Parti adopte des politiques contre la participation du Canada dans l’affrontement des américains et des soviétique dans leur course nucléaire ».

À la fin de l’année scolaire, je suis retourné sur Roosevelt avenue à Ottawa. Mon année à McGill (médiocre scolastiquement) m’avait impliqué dans ce mouvement. J’étais déterminée à être là! Hubie Inhaber m’a écrit une lettre m’annonçant son arrivée avec un contingent anti-nucléaire. « Sois-là, Malcolm, sur la colline parlementaire ».

Et un jour de plein soleil, j’étais là. Sur le grand terrain devant la Tour de la Paix. Hubie, avec son contingent, une cinquantaine de militants en formation de marche, est monté de la rue Wellington. Ils se sont plantés magnifiquement au milieu du terrain. Ils étaient prêts à entrer au congrès de fondation de ce qui allait devenir le Nouveau Parti Démocratique…

Ils étaient prêts à débattre de guerre et de paix… Prêts à débattre politique nucléaire. Le NPD en aurait besoin.

Retrouvez ici le cinquante-sixième chapitre de Roosevelt Avenue.