Avec L’œil, Rosalie Cournoyer nous offre un huis clos féminin, opposant deux visions de l’art, des corps et du désir. Une histoire de résilience, de sororité et de guérison, sur fond de pratiques artistiques.
Lorsque Camille débarque dans l’atelier de son peintre de père pour s’assurer qu’il est bien fermé après qu’il a eu un malaise cardiaque, elle ne pense pas tomber sur Sophia, modèle de son père, en tenue de travail, c’est-à-dire complètement nue. Du malaise provoqué chez Camille par cette nudité va naître une confrontation entre les deux jeunes femmes, que tout semble opposer, à commencer par la définition même de l’art.
Camille est doctorante en histoire de l’art, a une approche intellectuelle, clinique et rationnelle de l’art. Sophia définit l’art par une relation charnelle, physique, entière, une pratique intime qui l’ancre dans son corps. Faire un doctorat ne permet pas de mieux apprécier l’art dit Sophia, qui a trouvé dans le métier de modèle une façon de se réapproprier son corps. Au-delà de la définition de l’art, L’œil interroge aussi sur le corps. Corps émotion, corps frontière, corps subi, corps traumatisme, corps dont on ne sait que faire. Plusieurs scènes impliquent la nudité frontale et complète des interprètes, sans que cela ne soit jamais érotique, obscène ou déplacé, dans un choix assumé par la mise en scène permettant de se réapproprier le corps et le regard sur le corps féminin, objet de désir modelé pour répondre au désir des hommes. L’Œil s’ouvre d’ailleurs sur une scène d’une délicatesse infinie, l’éclairage habillant doucement le corps nu de la modèle, dont les poses s’enchaînent au rythme d’un bip qui rappelle le battement cardiaque et qui permet au corps de s’éveiller.
L’œil met également en scène deux visions du féminisme, dans ce qui est peut-être la seule faiblesse de la pièce, car le dialogue devient alors didactique et impersonnel. L’œil est une pièce aux nombreuses qualités, à l’écriture sensible et contemporaine, qui aborde des sujets délicats sous un angle inusité. La joute oratoire est une dentelle textuelle et un régal à entendre. Le travail d’écriture de Rosalie Cournoyer est porté avec sensibilité et intelligence par Maureen Roberge et Marie-Ève Lussier-Gariépy, les deux actrices qui interprètent Sophia et Camille et dont la prestation est impeccable. On appréciera également la scénographie, qui plonge le spectateur dans un atelier de peintre extrêmement réaliste et détaillé. À voir jusqu’au 25 février au Premier Acte!
Informations complémentaires
- Billets
- Production: Vénus à vélo
- Texte et mise en scène: Rosalie Cournoyer
- Interprétation: Marie-Ève Lussier Gariépy et Maureen Roberge
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