Dans un futur peut-être pas si lointain, l’état de la planète et de la société poussent de nombreuses personnes à se réfugier, plus ou moins définitivement, dans un univers virtuel, l’Inframonde. Certaines simulations sont si poussées que l’expérience sensorielle en est confondante de réalité, et que l’on finit par se demander ce qui est vrai.
Ce monde, qui dit offrir une liberté totale à ses utilisateurs, est tout de même balisé par quelques règles, fussent-elles éthiques à défaut de pouvoir appliquer quelconque législation en vigueur. Et c’est ainsi que l’inspectrice Harrisson se retrouve à interroger l’énigmatique Roy, le créateur du Refuge, un espace virtuel où toute personne peut assouvir ses fantasmes sexuels ou meurtriers sur des enfants, d’une manière si réaliste que la question des impacts sur le monde physique se pose presque logiquement. Un monde que Roy a bâti, où se trouve son entreprise, ses revenus, sa maison, une “famille”. La confusion est telle que lorsqu’il demande à rentrer chez lui, on lui demande “Lequel des chez-vous?”.
De la confrontation entre ces deux personnages naît le doute. Dans un avenir où l’on peut décider de presque s’affranchir de son corps pour devenir un spectre dans la machine, jusqu’à ce que la mort physique nous rattrape et achève de couper les liens qui nous relient au monde, la pièce pose de nombreuses questions éthiques, sans nécessairement apporter de jugement. Des questions que l’on doit se poser actuellement, alors que les métavers et autres réalités virtuelles à portée d’oculus se répandent dans nos quotidiens. Les gestes glauques et sordides posés dans l’Inframonde sont-ils réellement sans conséquence? Si c’est virtuel, est-ce que ça existe, ou pas? Quelle morale doit-on appliquer? Quand le virtuel est la principale référence contextuelle principale de notre existence, qu’est-ce qu’un acte et quels sont ses effets? La violence simulée sur un être parfaitement réaliste et par là-même légitimée, peut-elle être juste confinée à l’espace virtuel? Peut-on entrer en relation sans la barrière des corps? À quoi mesure-t-on qu’une chose existe, finalement?
La déviance sur laquelle la pièce s’appuie est un sujet difficile, et on se doit de souligner l’impressionnante interprétation de la toute jeune Octavie Carrée, qui porte sur ses épaules un rôle complexe, nuancé et exigeant. Vincent Champoux campe un indéfinissable Roy, aussi nébuleux que ses certitudes, avec un aplomb captivant. Rosalie Cournoyer, Carol Cassistat et Vincent Massé-Gagné complètent cette solide distribution, toute en nuance.
La scénographie de l’Inframonde mérite qu’on s’y attarde. Outre les projections vidéo, qui nous plongent dans l’univers de l’Inframonde, la scène du Premier Acte s’articule autour d’une périphérie dépouillée, austère et morne comme la planète en train de mourir, face au jardin luxuriant du refuge, de sa maison victorienne et de sa lumière douce et agréable. Qui pourrait résister à un monde plus invitant, plus beau, plus “épanouissant” que le réel? Échappatoire moderne, L’Inframonde est un paradis artificiel dont la sortie ne peut être qu’une descente aux enfers quand on est seul. Une drogue comme une autre, pour pallier la tristesse et la laideur d’un monde que nous contribuons à créer et entretenir…
Informations complémentaires
- Du 14 mars au 1er avril 2023
- Billets
- Production: L’homme qui a vu l’ours
- Texte: Jennifer Haley, traduction Étienne Lepage
- Mise en scène: Maxime Perron
- Interprétation: Octavie Carrée, Carol Cassistat, Vincent Champoux, Rosalie Cournoyer, Vincent Massé-Gagné
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