Nous publions chaque mois un extrait de l’autobiographie de Malcolm Reid, écrivain résidant depuis de nombreuses années dans le Faubourg, et citoyen engagé. Il habite Québec depuis longtemps, mais pas depuis toujours. Ici, par tranches, il écrit le récit de son chemin vers… Chaque premier samedi du mois, nous vous proposons un chapitre de « Roosevelt Avenue ». 

Le plus spectaculaire fait d’armes de la Nouvelle Gauche au Canada était le projet La Macaza.

La Macaza est un village des Laurentides au nord de Montréal, un village dont je n’avais jamais entendu parler malgré mes voyages d’enfance dans ces montagnes.

Mais en 1958, La Macaza avait été choisi par le gouvernement du Canada, en collaboration avec le monde militaire des États-Unis, pour être une base de lancement d’une sorte de missiles qu’on appelait des « BOMARC » (Boeing Michigan Aeronautical Research Center). Ils viseraient l’Union soviétique et seraient dans la logique du temps, Démocratie-contre-Communisme.

Les américains désiraient que les Bomarcs aient, dans leurs pointes, des petites bombes nucléaires.

Le Canada, gouverné par le Parti conservateur de John Diefenbaker et ensuite par le Libéral Lester B. Pearson, acceptait largement la collaboration militaire avec les USA. Pas nous.
Non, pas nous!

L’entière course aux armements entre le Bloc de l’Ouest (États-Unis en charge) et le Bloc de l’Est (Union soviétique en charge) nous semblait l’absurdité de l’humanité de notre temps. Car même si on condamnait Staline et l’enrégimentation de la vie en Russie et ses satellites, on voyait l’Ouest comme ayant des traits de dictature aussi, plus subtils que ceux du bloc communiste. Traits de manipulation, traits de conformisme. Nous étions des lecteurs de 1984, de George Orwell. Et nous insistions sur le fait que ce n’tait pas seulement un pamphlet anti-communiste. C’était un cri contre toute forme de société de masse drivée par la technologie et l’argent.

« Vous mettez les communistes et les capitalistes dos à dos? » nous disaient des amis sceptiques. Mais on prenait ça comme un compliment. La violence de la société était notre cible. Une société non-violente était possible croyions-nous; et à La Macaza on allait le prouver (ou du moins semaine une graine). On avait l’œil sur Gandhi et son disciple Martin Luther King. Sur Bertrand Russel aussi, et un peu plus tard sur de Beauvoir et Sartre, et sur Michel et Simonne Chartrand et leur famille. Quand on regarderait le vingtième siècle en l’an 2000 ou 3000, on était sûr, ce serait des êtres de cette trempe qu’on admirerait. Modestement, on voulait en être.

Celles et ceux de nos copains qui avaient le guts de faire une ligne de piquetage à La Macaza, on les admirait. L’idée c’était de passer tout l’été dans le village et de faire un travail de discussion avec les villageois sur l’enjeu mondial auquel ils avaient été conscrits.

On appelait ça du « consciousness raising ». Eux et nous – tous – on avait besoin d’augmenter notre conscience de ce qui se passait dans le monde.

Et le piquetage serait fait de manière non-violente.

« Go limp! » criaient les manifestants.

Les gens de la ligne de front relaxaient tous les muscles de leurs corps, gars et filles. Ainsi les flics avaient tout le mal du monde à les porter loin de la base militaire (flic, un mot qu’on a eu de la France rebelle).

Je n’ai pas moi-même mis les pieds à La Macaza, comprends bien. J’ai un peu honte de le dire. Autant comme témoin, comme journaliste observant son siècle, que comme combattant pour la paix. Mais j’étais, au plus fort de l’action, vers 1963, de l’immense armée des sympathisants en arrière de la cause pacifiste, bâtissant la légende des années ’60. Des citoyens rappelant aux états et aux chefs d’état le péril dans lequel ils avaient mis la planète.

Alors à la Presse Canadienne, l’agence de nouvelles où je travaillais fin’63, je me souviens d’avoir eu un appel de Janet Kask, une compagne journaliste, une amie.

« Est-ce que je peux parler à Malcolm Reid, demandait-elle. Malcolm, t’es là? Peux-tu prendre mon texte sous la dictée? ». Ça allait à peu près comme ceci:

La Macaza, Qué. (CP) – Cet après-midi, des militants de la Student Union for Peace Action ont été traîné de force par les policiers loin de leur position devant la clôture du site bomarc en construction…

Quand on y pense, quelle chose à oser! Vivre avec des québécois ruraux en 1962, et essayer de les éveiller à la façon dont leur coin de terre était devenu un point dans la Guerre froide. Que des ordres arrivaient là de l’alliance NORAD à Colorado Springs, Colorado.

Une autre fois, Janet Kask m’a téléphoné pour me demander: « Malcolm, t’as peut-être vu la photo d’un jeune accusé du Front de libération québécois devant le tribunal, un badge de peace-sign en noir et blanc sur son gilet? On me demande: comment expliquer ça? Tu pourrais peut-être écrire quelque chose pour le journal Peace News à Londres? »

Alors j’ai écrit un essai sur la Révolution Tranquille québécoise pour le pays qui nous avait donné le peace-sign. Et le rédacteur-en-chef de Peace News l’a publié sur deux grandes pages, avec photos, dans le numéro suivant. Quelle joie! J’ai parlé de pacifisme, j’ai parlé de terrorisme.

« Malcolm, m’a dit Dimitri-le-Stratège, sur les marches du Centre de la Paix cette semaine là. On dirait que tu as respiré toute la damnée histoire du Québec d’un seul souffle! ».

Et cette fois-ci, je remarque mon choix de mots…
« Fait d’armes. »
« Combattant pour la paix. »
« Immense armée. »
« Les front-lines. »

Que d’expressions guerrières pour un chapitre sur la bataille de la paix!

Nous nous disions, alors, combien Gandhi lui-même utilisait la métaphore militaire pour parler de la litte pour l’Inde. Combien il voulait gagner l’indépendance par manifestations… Par persuasion… Sans prendre les armes. Combien il exhortait ses troupes…

Ainsi à La Macaza, contre les missiles nucléaires. Étranges défi. J’en parlerai en avril.

Retrouvez ici le cinquante-huitième chapitre de Roosevelt Avenue.