Satie: agacerie en tête de bois est un ravissement, une délicate merveille qui rend hommage à la richesse et à la complexité d’un homme qui aimait à se présenter par “Je m’appelle Erik Satie comme tout le monde”… Une pièce qui nous invite à nous laisser porter comme des bulles de savon, au gré d’un souffle léger et atypique comme les œuvres du compositeur.
Satie meurt le 1er juillet 1925. Une disparition à peine soulignée par ses contemporains, sa mort faisant l’objet d’un entrefilet dans la presse. Quatre personnes entrent alors dans son appartement où personne n’était entré jusqu’alors, Satie ayant toujours refusé de recevoir qui que ce soit. Ce qu’ils découvrent permet de redonner vie à l’un des compositeurs les plus mésestimés de la fin du 19e siècle et du début du vingtième siècle. Le personnage renaît, d’abord par les objets qui lui étaient si familiers: son chapeau melon, ses lunettes, ses chaussures pleines de poussière, des partitions, des lettres… et l’un de ses 14 parapluies. D’abord au son des compositions d’Erik Satie, puis par le biais de ses nombreuses correspondances, le compositeur se ranime devant nous, par touches impressionnistes, délicates, fantaisistes, oniriques. On entre ainsi doucement dans la touchante et complexe intimité d’un compositeur qui a passé sa vie à donner le change tout en vivant dans la misère et l’on vacille avec Satie, quelque part sur une corde raide entre l’humour, l’autodérision, la créativité et la détresse poignante.
Satie: agacerie en tête de bois bouillonne de références culturelles et historiques au Paris de la Belle époque et à l’énergie artistique d’un siècle qui voit émerger la modernité. Le travail de recherche est colossal, et tout est rendu avec une fluidité impressionnante. Chaque élément de la mise en scène est un rappel à l’œuvre de Satie et à tout l’environnement dans lequel il a pu évoluer. Les personnes qui ne connaissent pas en détail la vie de Satie auront plaisir à se plonger dans la richesse de l’imaginaire qui a façonné la vie du compositeur. Celles qui s’y connaissent un peu plus sauront apprécier tous ces rappels, comme le cheval ou la petite fille au grand nœud blanc dans les cheveux qui apparaissent dans Parade, un ballet écrit par Jean Cocteau et scénographié par Pablo Picasso…
La compagnie Nuages en pantalon nous offre ici une recréation de la pièce, présentée pour la première fois en 2004, et des moments de grâce que l’on ne saurait trop vous inciter à découvrir dès que possible. La mise en scène de Jean-Philippe Joubert est à la fois légère, exquise, élégante et pleine de vie. Tous les sens sont sollicités, et le texte, composé de morceaux de correspondance de Satie, est élégamment soutenu par la musique, le théâtre d’objet, la danse et le mouvement des corps. Corps dansant, flottant, suspendu, faisant écho aux compositions du musicien. Corps prenant des poses, corps esquisse, corps modèle parcourant la scène ou se transformant en fée verte (l’absinthe), chaque mouvement révèle un morceau de l’énigmatique Satie. Le travail de Jean-Philippe Joubert, assisté d’Emilie Potvin, sur la lumière et l’éclairage est remarquable et permet de donner une dimension, un relief, une intimité supplémentaires à un compositeur trop peu connu. Une délicate intimité que porte d’ailleurs admirablement Patrick Ouellet, qui interprète Erik Satie, fort bien entouré d’une distribution tout aussi impressionnante composée de Jean-Philippe Joubert, Marie-Hélène Lalande, Jocelyn Paré et Mélissa Merlo qui a repris au pied-levé un rôle à quelques jours de la première.
Cette pièce vous donnera sans doute envie de vous plonger dans une biographie de Satie ou dans sa correspondance, tout en écoutant quelque gymnopédie ou gnossienne… Ce qui est sans doute le plus bel hommage que l’on pouvait lui rendre.
Informations complémentaires
- Du 18 avril au 6 mai
- Billets et suggestions littéraires
- Compagnie: Nuages en pantalon — compagnie de création
- Textes et musique: Érik Satie
- Idée originale: Patrick Ouellet
- Interprétation Jean-Philippe Joubert, Marie-Hélène Lalande, Mélissa Merlo, Jocelyn Paré et Patrick Ouellet.
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