Nous publions chaque mois un extrait de l’autobiographie de Malcolm Reid, écrivain résidant depuis de nombreuses années dans le Faubourg, et citoyen engagé. Il habite Québec depuis longtemps, mais pas depuis toujours. Ici, par tranches, il écrit le récit de son chemin vers… Chaque premier samedi du mois, nous vous proposons un chapitre de « Roosevelt Avenue ».
J’étais très triste quand je regardais ma condition…
J’avais de fortes raisons de penser que le Ciel avait décidé que, dans ce lieu désolant, de cette manière désolante, je finirais ma vie.
Mais toujours, quelque chose me frappait pour contrer ces pensées.
– Robinson Crusoé
Imaginons un enfant né en 1941. Il grandira, c’est sûr, dans un monde menacé d’anéantissement nucléaire.
Le 6 août 1945 la première bombe atomique a démoli Hiroshima. Cet enfant a 4 ans et 33 jours. Le 9 août 1945, la seconde bombe atomique a fait exploser Nagasaki. L’enfant a 4 ans et 36 jours.
Bien sûr, je parle de moi. J’étais trop jeune pour comprendre quelque chose, ces deux jours-là. Mais la réalité d’une Guerre Froide où deux pays opposés détiennent cette sorte de bombe, me travaillerait, tout le long de mon enfance. À la maison, en regardant les nouvelles à la télévision… À l’école en débattant de guerre et de paix avec mes profs… avec des copains d’école dont les papas étaient dans les forces aériennes…
Ça forme. Ça influence un jeune.
« Évidemment tout le monde était conscient que cette menace était là. Mais on s’arrangeait pour ne pas le savoir. Pour ne pas s’en préoccuper. On faisait semblant ».
C’est mon ami Allan qui me parle, dans les années 60. Dans les années du mouvement contre les armes nucléaires. Les années des sit-in que je décris, à la Macaza, Québec. Les années où on disait non aux missiles BOMARC.
« Mais comment peuvent-ils ignorer un danger comme ça, Allan? Dis-moi ça.
– Ben… toi-même, Malcolm, as-tu vécu une enfance terrorisée face à une guerre américano-russe qui pouvait éclater?
– Non. Tu as raison. Mon esprit était calme. Semblait être calme. Je m’intéressais à autre chose. J’avais une mère pacifiste, qui était anti-guerre depuis l’âge de 20 ans, qui était anti-guerre sous l’effet de la Première Guerre mondiale. Pour elle, Hiroshima et Nagasaki étaient à peine pire que ce qu’elle imaginait en 1920.
– Et ton père…?
– Mon père était moins dramatique. Il acceptait la situation mondiale comme une donnée de l’époque. Plus tard, il a travaillé pour les Nations-Unies, à Rome et dans le Tiers-Monde, en Inde. Quand je lui disais « penses-tu que les Palestiniens vont avoir un pays un jour? », il me répondait « Je l’espère, Malc ». Il était prudemment optimiste, mon Dad. Peut-être que l’ONU réussirait à réduire les tensions, disait Ewart. Il était un peu comme Robinson, on pourrait dire. Il espérait prudemment. Et en effet, il a vu la Guerre Froide s’atténuer vers la fin de sa vie, la Russie se réformer, l’USA prendre des distances avec son anticommunisme enragé. Et la culture de l’Occident changeait! Ewart a entendu Bob Dylan chanter Masters of War, et Desolation Row, et Blowin’ in the Wind. Il ne nous a jamais désapprouvés, Ian et moi, dans nos actions sous le signe de la paix ».
L’ambiance culturelle a changé en 1960, oui!
Je disais à mon ami Allan :
« Aussi, je me rends compte qu’à l’école, seuls mes cours d’histoire du Canada m’intéressaient profondément. Car l’histoire mondiale, elle, était reflétée dans la culture populaire. Les magazines et téléséries américains. Les films de guerre britanniques évoquant de stoïques héros joués par Alec Guinness et Jack Hawkins. Tandis que – puisque le Canada n’intéressait pas Hollywood – j’apprendrais le passé canadien seulement si j’écoutais mes parents et mes professeurs et professeures ».
Alors vient 1960. J’ai dix-neuf ans. Un mouvement pointe à Ottawa, à Montréal, sur tous les campus du Canada, un mouvement contre les armes nucléaires. Je regarde la planète en Guerre Froide. Est-ce que c’était seulement la situation mondiale à accepter puisqu’on n’y peut rien? « Quelque chose me frappe pour contrer cette pensée ». Il faut faire quelque chose, et le moment me fournit quelque chose à faire. Il me semble je ne suis pas le seul jeune au Canada à penser comme ça.
Dans la Nouvelle-Gauche, on cherchait à combiner une option pour la non-violence avec une option pour le Tiers-Monde et ses luttes. C’était compliqué. Car les luttes étaient souvent si violentes, inévitablement violentes, presque. Guevara, Mao, Louis Riel. Guérilléros, tous. C’est ici que Gandhi est devenu une figure si importante pour nous, pour la Student Union for Peace Action et la SUPA Newsletter. Gandhi avait défendu la non-violence et a quand même changé l’histoire mondiale. Et son disciple, Martin Luther King, était en train de faire la même chose.
Dans les écrits de Gandhi, j’étais surpris de découvrir son grand recours à la métaphore de la guerre inébranlable, et du soldat brave. Il utilisait cette métaphore, il encourageait ses troupes avec elle.
« Encourageait ses troupes? »
Si Mohandas Gandhi était prêt à s’adresser à ses camarades comme à de braves soldats contre… violence; domination coloniale; pauvret; système des castes…
Alors je pense qu’en parlant de notre bataille de la Macaza, on pouvait glisser (métaphoriquement!) des termes comme :
« Fait d’armes »
« Combattant pour la paix »
« Les Frontlines »
Gandhi aurait approuvé. Robinson Crusoé aussi, je pense.
Retrouvez ici le cinquante-neuvième chapitre de Roosevelt Avenue.
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