Nous publions chaque mois un extrait de l’autobiographie de Malcolm Reid, écrivain résidant depuis de nombreuses années dans le Faubourg, et citoyen engagé. Il habite Québec depuis longtemps, mais pas depuis toujours. Ici, par tranches, il écrit le récit de son chemin vers… Chaque premier samedi du mois, nous vous proposons un chapitre de « Roosevelt Avenue ».
J’avais quitté l’université après une première année très centrée sur mes reportages au McGill Daily.
J’avais travaillé pour le Canadien Pacifique deux ans, mais bientôt j’avais le désir de retrouver ma vie d’étudiant.
Quel était le cœur de ma deuxième année à McGill?
C’était – je l’ai déjà dit – le mouvement pour la paix.
J’avais connu McGill comme une institution grise, avec une tradition radicale enterrée loin dans le passé, avec Norman Bethune. Là, la tradition radicale renaissait. Nous étions contre les bombes atomiques avec lesquelles les États-Unis et l’URSS se faisaient face. McGill n’était pas devenue l’université de la Havane ou de Mexico! Mais nous, les anti-nucléaires, nous étions là. Ces bombes avaient anéanti Hiroshima et Nagasaki et elles pouvaient nous anéantir (« Mutually assured destruction »). C’était un peu abstrait et lointain. C’était une ambiance historique, un Zeitgeist. Mais pour nous, c’était un combat pour nos vies.
Mon contact avec cette ambiance historique était ma radio. Sur Shuter Street, dans le « McGill Ghetto », je cherchais une chambre, et une dame qui s’appelait Madame Chase m’a dit: « Oui, j’ai des chambres à louer. De bonnes chambres, propres, voulez-vous que je vous montre? » Elle était canadienne-française.
Elle ajoutait: « Je suis Témoin de Jéhovah, je suis séparée de mon mari et j’élève mon fils seule ».
J’ai pris la chambre qu’elle me montrai. Elle était toute petite, cette chambre. Sur les murs j’ai affiché des grandes caricatures que j’avais faites de René Descartes, de Thomas d’Aquin… je découvrais ces philosophes dans mon cours de philo, mais je me moquais gentiment d’eux. Et j’écoutais ma radio.
La CBC me parlait de mon ambiance historique. Des documentaires. À Washington, Nixon et Kennedy débattaient pour prendre la présidence des États-Unis. À San Francisco, des étudiants de Berkeley manifestaient encore contre « HUAC », le comité Maccarthyste qui traquait l’infiltration rouge. Dans un autre coin de Frisco, le poète Allen Grinsberg murmurait son Howl, son hurlement. À New York, le romancier Norman Mailer disait: « Cette ville nous stimule! En même temps, cette ville nous assomme! ». Un gauchiste canadien anonyme disait: « Je pense que c’est un grand défi pour les jeunes époux et amants de trouver l’entente sexuelle qu’ils cherchent ». Nouvelle culture, nouvelle gauche.
Mais cette ambiance historique était une chose seulement. C’était abstrait. Mais on a aussi notre vie quotidienne à vivre. Quand je descendais dans la cuisine que madame Chase nous assignait, j’ai rencontré mes voisins. Il y avait Gordon, un grand ouvrier canadien-anglais, plutôt silencieux. En fin de semaine, il recevait sa blonde. « Gordon trime dure, disait-elle. Me semble qu’il mérite une visiteuse en fin de semaine, non? On va se marier l’an prochain ». Autre morceau du quotidien: McGill était cosmopolite, et fière de l’être. Dans la rue, j’ai vu deux nouveaux étudiants d’origine chinoise, mais de la Jamaïque. L’un dit à l’autre: .T’as eu le temps d’explorer la ville? Hé! Il y a un Chinatown! ».
Dans la cuisine de la maison de chambres sur Shuter, deux jeunes hommes à la peau brune. Deux jeunes hommes qui ont marqué ma vie.
– Je me présente, monsieur, je m’appelle Chiman Harsora.
– Moi c’est Malcolm Reid.
– Ah! Malcolm! Et je vous présente un ami, Dinesh Dalgli. Dinesh vient d’arriver, moi je suis ici depuis deux ans. Nous étudions le génie civil. J’explique des choses du Canada à Dinesh.
– Et vous venez… de l’Inde?
– Vous l’avez! On est Indiens, et notre ville, c’est Bombay. Notre langue c’est le Gujarati. Tu sais peut-être que Gandhi était Gujarati?
– Ah oui? Ma mère est une grande admiratrice de Gandhi. Elle en parle souvent à mon frère et moi. Mais je ne connaissais pas cette langue.
– C’est la langue du Gujarat, un des états de l’Inde, près de Bombay. Nous avons beaucoup de langues en Indes. Plus de vingt langues principales. Et aussi le Hindi, langue nationale. Et aussi l’anglais, bien sûr.
– Le Gujarat, oui… je vois. Vous avez beaucoup de religions aussi, non?
– Nous sommes de familles hindoues, nous. Mais l’hindouisme est plutôt flexible, multiple. Mais tu sais Malcolm… Dinesh et moi avons étudié au sein d’un collège catholique, un célèbre collège à Bombay. C’est dirigé par des prêtres jésuites.
Dinesh, aussi petit et timide que Chinan était solidement bâti et affable, est intervenu brièvement pour dire: « Oui, notre collège s’appelle Xavier’s! Very good college« .
Ces deux jeunes hommes allaient être mes meilleurs amis cet automne et hiver. Comme j’ai dit, ils allaient marquer ma vie. On avait de longues conversations dans la cuisine. On avait tout à apprendre les uns sur les autres. Et pourtant, les conversations coulaient facilement dans la cuisine des locataires de Madame Chase. L’affabilité et le sourire de Chiman voyaient à ça.
Sur le campus, mes conversation tournaient autour des nouvelles idées politiques que j’absorbais. Socialisme, marxisme, anarchisme, violence, non-violence, guerre froide, culture de la jeunesse, chanson, littérature. Parlais-je de ces idées avec Chiman et Dinesh? Rarement. Le seul trait que nous avions en commun, politiquement, c’était Gandhi et son pacifisme, son anti-colonialisme.
Mais l’Inde était indépendante depuis quinze ans, c’était un acquis. Gandhi était mort et Nehru était le chef de file du bloc des non-alignés dans le monde. Chiman comprenait que que les québécois commençaient à parler d’anti-colonialisme, quelques-uns et quelques-unes disant le mot indépendance.
« Je connais des canadiens-français, disait-il. J’en rencontre dans la firme d’ingénieurs pour qui je travaille l’été, sur des chantiers dans le Nord. Des amitiés se forment. Et plusieurs des ingénieurs sont pas mal nationalistes ».
Il ne voyait pas le cas canadien comme très comparable au cas indien.
« Nous, on avait besoin de l’indépendance, c’est sûr. Mais si les Britannique nous avaient donné le vote pour leur Chambre des Communes… Ah! On aurait pu les noyer avec notre vote! Nous sommes beaucoup plus nombreux qu’eux ».
C’était la décennie des ’60 qui débutait. Chiman et moi étions de cultures très différentes. Mais ces conversations étaient faciles.
Un autre dialogue avec un voisin de chez Madame Chase a besoin d’être raconté. Je le raconterai. Cet étudiant s’appelait Peter Hechtman, et il étudiait… la médecine.
Retrouvez ici le soixante-et-unième chapitre de Roosevelt Avenue.
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