Nous publions chaque mois un extrait de l’autobiographie de Malcolm Reid, écrivain résidant depuis de nombreuses années dans le Faubourg, et citoyen engagé. Il habite Québec depuis longtemps, mais pas depuis toujours. Ici, par tranches, il écrit le récit de son chemin vers… Chaque premier samedi du mois, nous vous proposons un chapitre de « Roosevelt Avenue ».
Les premières semaines de septembre dans le Ghetto de McGill! L’automne! L’année scolaire qui commence! (Mais des brises d’été sont encore dans l’air).
Et j’ai eu une autre importante rencontre dans la maison de chambres de la rue Shuter où j’ai vécu en 1960-61. Un autre étudiant chambreur, de l’étage en haut. « Peter », il s’appelait. Il m’a salué, il m’a offert un café, une amitié débutait. « Peter Hechtman, Malcolm ».
Un jour il a dit:
« Tu connais peut-être Pete Seeger? Un gars très spécial, très déterminé. T’sais, il a été appelé devant le Comité sur les activités non-américaines, à Washington. C’était à cause de la saveur de gauche de son tour de chant – c’est un folksinger pas mal connu. Vous avez été communiste, monsieur Seeger? Vous avez connu d’autres communistes? Tu vois le genre de questions que les législateurs lui ont posé?? Et Seeger a répondu, genre: La seule façon dont je peux répondre à vos questions… Ben je vous chanterai une chanson qui y répond, d’accord? J’ai mon banjo avec moi! Les législateurs n’étaient pas très d’accord, hein? Ils ne l’ont pas laissé chanté.
Peter Hechtman était américain. Il était arrivé depuis peu à Montréal de la ville américaine où ses parents habitaient. Était-ce Chicago qui était chez lui? Newark? New York? Mon souvenir est flou sur ce détail. Peter découvrait le Canada. Il découvrait Montréal, vu qu’il avait décidé d’étudier la médecine à McGill. Il ne savait pas exactement ce que je savais de la vie américaine, ce qui m’intéressait. Mais il semblait espérer trouver des atomes crochus entre lui et moi.
Et en effet, je connaissais bien Pete Seeger. Adolescent, je l’avais vu chanter à l’auditorium du Glebe Collegiate à Ottawa une ou deux fois. Il était avec le groupe folk « The Weavers ». Pour moi et plusieurs amis, les Weavers étaient parmi nos vedettes. Peter Hechtman connaissait-il ce côté canadianophile de Seeger et les Weavers? Peut-être que non; il nous découvrait seulement… Mais il se servait d’eux pour lier connaissance, pour jaser avec moi, et ça marchait.
Un autre jour, il avait offert une tranche d’Americana qui était plus mystérieuse pour moi. « As-tu déjà entendu parler de Saul ALinsky, Malcolm? ».
Je n’avais jamais entendu parler de monsieur Alinsky. Peter a dit:
« Je suis en train de lire sur Alinsky dans Harper’s magazine. C’est un homme de la vieille gauche, il était près des luttes syndicales dans les années ’30. Mais les temps ont changé, les luttes ont changé. Le mouvement noir est venu de l’avant, et Alinsky travaille maintenant non pas dans les usines, mais dans les communautés noires. À Chicago, par exemple. Les noirs américains sont des gens très pratiques, et Saul Alinsky connecte avec cette praticité. Quand les propriétaires des logements dans le ghetto rouspètent et ne veulent pas exterminer les rats, par exemple, Alinsky organise les gens pour lâcher des rats dans les bureaux des propriétaires qui n’ont pas agi, Ou, il suggère aux résidents de manger beaucoup de fèves avant certaines manifestations. Les pets sont persuasifs des fois. Il faut être terre-à-terre, il faut des nouvelles méthodes d’organisation dans notre époque. Plus de praticité, moins de sectarisme idéologique.
Cette note anti-sectarisme revenait souvent dans les conversations que j’ai eues avec Peter. Quelques années plus tard, vers 1963, je lui ai parlé de l’étude que je faisais sur le groupe marxiste et indépendantiste parti pris. « Dans les désaccords mondiaux des marxistes, Russie-contre-Chine, lui ai-je dit, je pense que les partipristes penchent plus vers la version chinoise.
« Ah, Malcolm, Peter m’a dit, il ne faut pas tourner trop autour de ces histoires sovietico-chinoises. Faut regarder les changements qui sont à propos, ici et maintenant. Il faut créer une nouvelle sorte de gauche, appropriée sur notre continent ».
Cette notion d’une nouvelle gauche a toujours trouvé écho en moi.
(Mais j’ai lâché un soupir: « Je reste curieux sur l’histoire des gauches dans le monde, depuis 1900« . Peter semblait trouver ces pages vieilles et séchées comme des feuilles mortes…)
J’ai eu peu de contact avec Peter Hechtman dans les décennies suivantes, surtout depuis mon déménagement à Québec. J’ai été content de le voir s’enraciner au Canada et devenir un médecin montréalais, super-actif au Montreal Children’s Hospital, près de la rue Atwater. « Quand j’ai vu comment le système de santé fonctionne aux États, comparé avec ici… Ça m’a décidé ».
J’ai toujours apprécié son aide avec mon essai Mon ami Leonard dans la revue Le Temps Fou, vers 1980. Sa conscience sociale n’est pas une affaire religieuse, il m’a expliqué, mais ses racine juives l’ont beaucoup formé quand même.
Et j’ai beaucoup pensé à lui quand son fils, journaliste en Afghanistan, était dans de grands périls.
Mais ces conversations dans la maison de chambres de Madame Chase, rue Shuter! Inoubliables. Si je vois Peter encore, je pense que je vais dire: « Let’s listen to some Pete Seeger« .
Retrouvez ici le soixante-deuxième chapitre de Roosevelt Avenue.
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