Avant l’heure mauve nous transpose dans un univers de western où seules les femmes sont restées sur place, face à une guerre et une épidémie qui ont éloigné ou fait périr les hommes et les bêtes. Pour les rares qui demeurent, l’occasion d’en finir avec la guerre se présente de manière soudaine et avec elle, des dilemmes plus ou moins moraux.
Après avoir disparu pendant des années, Ines revient au ranch de Margot en traînant derrière elle un homme blessé. Et l’espace d’une nuit, les femmes présentes semblent détenir le pouvoir d’arrêter la guerre en s’arrogeant le droit de vie ou de mort sur cet homme, le Général, dont les troupes ravagent le pays depuis tant d’années. Derrière le dilemme surgissent des doubles, triples, quadruples jeux… Leurs intérêts individuels ou collectifs ne vont pas tous dans le sens de la paix. Et si aucune de ces femmes n’est satisfaite de son sort, et encore moins de “l’ordre naturel” auquel toute la société les renvoie et fait de leurs vies des accessoires à celles des hommes, l’heure du choix sera surtout l’heure des révélations. Car si la guerre les affecte toutes, individuellement et collectivement, le Général cristallise toutes les frustrations et permet de faire tomber bien des masques.
Dans cet univers marqué par la violence, celle du monde, celle des hommes, celle des relations interpersonnelles, un univers où il faut s’endurcir pour survivre, ces six femmes en colère, complexes et faillibles, passeront la nuit à discuter pour savoir quoi faire. Jusqu’à l’heure mauve, avant que le jour ne se lève. La pièce offre ici aux actrices l’occasion d’être totalement investies dans leurs rôles, qu’elles interprètent avec force et conviction. On saluera ici la performance d’Érika Gagnon dans le rôle de la matriarche intraitable, soutenue dans son interprétation par les talentueuses Odile Gagné-Roy, Angélique Patterson, Catherine Côté, Marie-Hélène Lalande et Sophie Dion.
Face à une histoire riche et dense, très bien écrite, la mise en scène aurait pu faire le choix d’un huis clos poisseux et étouffant. Au lieu de cela, un climat de tension exacerbée s’installe tout le long de la pièce. Indécisions, rancœurs et colères s’expriment par des échanges vifs, dont le ton et le contenu contrastent parfois avec le réalisme de la pièce. L’habillage sonore de grande qualité et les décors réalistes sont habilement travaillés pour immerger les spectateurs dans un environnement âpre et désolé, où tout se meurt par la faute des hommes. La mise en scène très cinématographique, en particulier en ouverture, ravira les amateurs de western, qui y reconnaîtront les influences visuelles de plusieurs westerns spaghetti de Sergio Leone ou du plus récent The Hateful Eight de Quentin Tarantino.
Avec « Avant l’heure bleue », Maude Bégin-Robitaille nous interroge sur la colère au féminin. En prenant pour décor un univers longtemps uniquement perçu comme masculin, elle contribue à déboulonner plusieurs mythes liés aux perceptions du féminin. À voir au Périscope jusqu’au 7 octobre.
Informations complémentaires
- Billets et suggestions littéraires
- Du 19 septembre au 7 octobre 2023 au Théâtre Périscope
- Texte: Maude Bégin-Robitaille
- Mise en scène: Marie-Hélène Lalande, avec la collaboration de Sophie Thibeault et Sonia Montminy à l’assistance à la mise en scène
- Distribution: Catherine Côté, Marie-Hélène Lalande, Odile Gagné-Roy, Érika Gagnon, Nicolas Létourneau, Sophie Dion et Angélique Patterson
- Conception de décor: Gabriel Cloutier-Tremblay
- Conception d’éclairages: Kevin Dubois
- Conception de costumes et d’accessoires: Emilie Potvin
- Conception musicale: Yana Ouellet
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