Nous publions chaque mois un extrait de l’autobiographie de Malcolm Reid, écrivain résidant depuis de nombreuses années dans le Faubourg, et citoyen engagé. Il habite Québec depuis longtemps, mais pas depuis toujours. Ici, par tranches, il écrit le récit de son chemin vers… Chaque premier samedi du mois, nous vous proposons un chapitre de « Roosevelt Avenue ». 

Quelle était cette Nouvelle-Gauche que j’ai évoquée dans mon dernier chapitre?

En quoi était-elle différente de la vieille gauche, celle qui était là depuis 1789 et l’invention des termes « gauche » et « droite »? (La vieille gauche, extrême et modérée, dans toute sa diversité – Marx, Lénine, Proudhon, Gandhi, Mitterrand…?)

En 1960, une nouvelle gauche se pointe. Elle a un nouvel esprit. Qu’avait-elle pour justifier son adjectif « nouvelle »?

J’ai parlé dans mon dernier chapitre d’un sociologue qui était en réalité un philosophe à la recherche d’une nouvelle gauche, C. Wright Mills. Dans ses écrits, Mills a chuchoté beaucoup de thèmes aux jeunes rebelles de 1960.

Est-ce que je veux maintenant présenter deux autres sources d’ides pour ces rebelles? Si je vous présentais Paul Goodman? Si je sifflais quelques tunes de Phil Ochs?

Qui étaient-ils, ces deux américains?

Ils avaient, en 1960, respectivement 50 et 20 ans. Ils comptaient beaucoup pour moi et mes copains. Le Québec français les connaissait peu.

(L’influence américaine était indéniable chez les jeunes gauchistes canadiens-anglais. Nous étions, je pense, un peu moins alignés sur l’orthodoxie américaine que les jeunes Québécois d’alors, qui regardaient les États-Unis au travers d’une barrière de langue. Ah! Nous étions fiers d’aller off the beaten track, de choisir, de discriminer…).

Goodman, qui était-il?

« J’ai rencontré Paul Goodman chez Dimitri Roussopoulos, un leader du mouvement de la paix à Montréal, me dit mon ami Jim. Il visitait Montréal occasionnellement. Nous le connaissions par son livre Growing up absurd. Il avait 50 ans, mais il était curieux sur ce qui dérangeait les jeunes ».

Growing up absurd exprimait un grand scepticisme sur l’American Way of Life. Cette utopie béate laissait les jeunes sur leur faim, disait-il. Les jeunes ressentaient l’absurdité des carrières qu’on leur proposait.

Goodman, tout élégant et classiquement édiqué qu’il semblait, était anarchiste. À l’Expo ’67, je l’ai entendu déclarer: « Le moment que je vois comme clé de l’ère moderne, c’est quand les paysans et les travailleurs de France ont envahi les châteaux, ont ramassé tous les documents du système féodal, et les ont brûlés. Ils voulaient recommencer à zéro ».

Ou, dans Growing up absurd:

« Les États-Unis modernes ont fait quelques gains pour l’humanité, quand même. L’un d’eux, c’est le mouvement appelé « Progressive education ». Une pédagogie pour couter l’enfant, pas le dresser ».

Goodman, pour nous, je dirais qu’il était une sorte de maître d’école anar.

Phil Ochs était tout autre.

Goodman avait-il quelque chose d’aristocratique? Ochs était un populiste. Son populisme n’était pas tassé à droite comme il l’est dans le langage d’aujourd’hui. C’était un amour des gens ordinaires, simplement. Phil aimait les bars louches des grandes villes, il aimait les comptoirs d’hamburgers des petites villes. Goodman savourait-il la musique classique? Ochs, lui, faisait des mélodies très folk, qui avaient souvent la simplicité des vieilles ballades des Îles britanniques, de l’Écosse, où sa mère est née.

Rendant hommage à Woody Guthrie, il pouvait chanter le temps héroïque du syndicalisme.

The rising of the unions
Will be sung about again,
The deportees live on
Through the power of his pen
Bound for glory, 1964

Il pouvait être sarcastique avec subtilité, witty. Il pouvait prendre la voix d’un personnage autre que lui-même. Pour une conférence que j’ai fait sur lui, j’ai demandé à Jane Ehrhardt de choisir une chanson de Phil et de la chanter pour nous. Elle a choisi sa parodie des libéraux américains qui veulent être progressistes… mais pas trop.

Love me
Love me
Love me
I’m a liberal!
Love me, I’m a liberal, c. 1968

« Jane, je lui ai dit, tu as choisi la chanson que personne d’autre que Phil Ochs aurait pu écrire ».

J’avais craint cependant que les allusions soient trop nombreuses et trop américaines. Mais non! Jane a étincelé ce soir-là à la Librairie Saint-Jean-Baptiste. Notre public a hurlé le refrain avec elle.

Tard dans sa carrière, Phil a quitté New York pour Los Angeles et a enrichi son activisme de gauche avec une bonne dose de folie hippie.

I’m a quarter of a century old
But a half century high
I’ll send you a tape from California
Tape from California, c. 1970.

Dernièrement, mon ami Jim m’a dit: « J’ai jasé une fois avec Van Dyke Parks, qui accompagnait Phil dans cette phase de sa carrière. Parks m’a dit: ‘Phil Ochs était l’homme le plus courageux que j’ai jamais connu’. »

Hélas! Ce courage de nageur-contre-le-courant semble l’avoir quitté avant qu’il atteigne 40 ans.

La guerre du Vietnam… le bicentenaire de la Révolution américaine approchant, et les opposant comme Phil à peine sortis de leur traumatisme… Vietnam victorieux, Phil Ochs en errance… blessé aux cordes vocales dans un voyage en Afrique… il se suicide revenu chez lui, à New York, à 36 ans… death of a rebel… silence d’une voix.

Qu’est-ce qui reste à ceux qui ont aimé Phil Ochs?

Pour moi, il y a ses disques, que je chéris. Il y a le souvenir d’un concert à Expo ’67, seule fois où je l’ai vu live. Et cette pensée: personne n’a traduit les passions de la Nouvelle-Gauche en chanson comme Phil Ochs.

I won’t know the right from the wrong
When it’s gone
And you won’t see me singin’ on this song
When I’m gone
So I guess I’ll have to do it
While I’m here
When I’m gone, c. 1966

Irremplaçable Phil!

Retrouvez ici le soixante-quatrième chapitre de Roosevelt Avenue.