Nous publions chaque mois un extrait de l’autobiographie de Malcolm Reid, écrivain résidant depuis de nombreuses années dans le Faubourg, et citoyen engagé. Il habite Québec depuis longtemps, mais pas depuis toujours. Ici, par tranches, il écrit le récit de son chemin vers… Chaque premier samedi du mois, nous vous proposons un chapitre de « Roosevelt Avenue ».
C’était dans l’air. Depuis une couple d’années. 1960… 1962…
Le syndicalisme canadien venait de resserrer ses rangs. Le « Trades and Labour Congress » (réputé timide et gagné au Parti libéral) fusionnait avec le « Canadian Congress of Labour » (réputé plus socialiste et plus moderne).
Voilà pour le Canada anglais. (Ça s’appliquait pour une bonne partie des travailleurs et travailleuses québécois aussi, car le syndicalisme était très canadien, très Coast-to-Coast).
Mais le Québec avait sa propre centrale syndicale. C’était la Confédération des travailleurs Canadiens et Catholiques.
Cette centrale canadienne et catholique, où « francophone » était le mot sous-entendu, vivait sa révolution tranquille.
On entrait dans les années soixante. La CTCC ne voulait plus être vue comme un syndicalisme de curés. Elle se laïcisait, elle se muait en « CSN ». La Confédération des Syndicats Nationaux.
Nationaux? Nation-quoi? « Nation québécoise était l’évident sous-entendu. Évident mais non dit. Et le plus souvent réduit à une simple initiale: « Enne ».
Le nœud de tout ça était politique.
La nouvelle centrale Coast-to-Coast avait l’idée de fonder un parti politique.
Dans ma chambre sur Shutter Street, j’avais feuilleté le livre Le Nouveau Parti de Stanley Knowles, un député de l’existant parti social-démocrate, le CCF. Monsieur Knowles plaidait la cause de The New Party. Un nom si neutre, même flou, laissait place à beaucoup d’espoirs… mais le plus simple était : mettre les travailleurs du Canada en alliance avec d’autres canadiens progressistes.
Et la Student Union for Peace Action à McGill et à Concordia voulait se rapprocher du projet. Voulait influencer le projet.
Et c’est comme ça que je me suis trouvé au congrès de fondation du Nouveau Parti Démocratique du Canada. Nous sommes à l’été 1962.
Des gens de gauche de partout au Canada sont venus à Ottawa pour fonder The New Party, et pour lui trouver un nom. Moi je pouvais vivre ce moment historique comme un événement local. C’était dans ma home town.
Je me rendais en tramway à l’Ottawa Auditorium, où les Sénateurs de la Québec Hockey League jouaient en hiver. J’écoutais des speeches et j’observais ce que je trouvais intéressant à observer, dans la chaleur de l’été.
Je marchais entre les tables où les délégués du Québec étaient assis, et il y avait une camaraderie très québécoise dans ce secteur du plancher. Il y avait des « Salut les gars! ». Il y avait aussi des « Garde l’œil ouvert, il peut y avoir des agents de la Police Montée! ». Ce dernier cri venait de Michel Chartrand, que je reconnaissais très vite, pour avoir manifesté avec lui quelques fois à Montréal.
Déjà le Québec m’intéressait plus que tout autre sujet. Je connaissais l’identité de plusieurs délégués, sans être intime avec eux. Je voyais qu’ils plaçaient beaucoup d’espoir dans cette force politique en formation.
Soudain, une jeune voix au loin proposait une résolution contre la grave blessure infligée au journaliste anticolonial de France, Jean Daniel, par l’armée de son propre pays:
« Nous dénonçons les tortionnaires d’Alger et les bouchers de Bizerte! »
Il fallait que je parle avec quelqu’un. J’ai aperçu Michel Beauchemin, de SUPA, à trois pas de moi.
« Puis, Michel, comment tu trouves ça? »
‘J’absorbe ça. Regarde Claude Jodoin sur l’estrade, Malcolm. Président du Congrès du Travail du Canada. Il ne te fait pas penser à Citizen Kane? »
Honteux, je ne pouvais pas avouer que je n’avais jamais vu ce célèbre film.
Dans un autre coin, dans le vestibule des jeunes de SUPA, gars et filles avec une guitare. Ils chantaient une vieille tune syndicale:
We’re gonna roll
We’re gonna roll
We’re gonna roll the union on
Et surtout, j’ai retenu le moment où on débattait de la position que le parti allait prendre sur le Canada dans les plans militaires des États-Unis. Nous étions là pour parler de cela, nous, les gens de la Student Union for Peace Action. Un de nos partisans a marché lentement et silencieusement à travers la foule, lui et son ami. Dans leurs mains, une grande photo de James Woodsworth, le père fondateur du socialisme démocratique au Canada en 1919. Son visage barbu, l’air de réfléchir, était un reproche muet à notre acceptation du pouvoir américain, de la Guerre froide, de la menace nucléaire. Car Woodsworth était très pacifiste.
Et il y a un moment qui était peut-être la clé de ce congrès. Un journaliste anglophone faisait une entrevue avec deux délégués québécois.
« Et puis, vous êtes enthousiastes? Ce nouveau parti va avoir plus d’impact sur le Québec que d’autres mouvements socialistes avant, au Canada? »
« Eh ben… C’est dur à dire. Nous l’espérons. Mais déjà le Québec est en ébullition. Il change, et vite, sous un gouvernement réformiste. Le gouvernement de Jean Lesage, avec René Lévesque à ses côtés. Un gouvernement du Parti libéral, vous savez… »
Chaque soir du congrès, j’ai pris le tramway de retour à Roosevelt avenue. Je soupais avec Charlotte, avec me mère. Elle cueillait mes anecdotes, approuvait un peu. Pensant, peut-être, quelque chose comme ceci:
« Malc est ben excité par tout ceci. Moi aussi, c’est mon parti aussi, après tout. Mon pays qui passe par des changement. Mis j’peux pas suivre comme quand j’avais vingt ans. C’est à lui et Ian de le faire maintenant… »
Retrouvez ici le soixante-cinquième chapitre de Roosevelt Avenue.</p
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