Le public aura dû attendre plus de trois ans avant de pouvoir assister à Madra au Périscope. Il sera heureux d’avoir pris son mal en patience, tant ce thriller psychologique réussit habilement à nous plonger au cœur des angoisses maternelles contemporaines et nous invite à nous interroger sur la confiance que l’on accorde aux autres dès lors que l’on a mis au monde un enfant.

Madra (Maddy) et Alex ont confié Gabriel, leur fils, à sa grand-mère, le temps de passer une petite fin de semaine en amoureux. Voulant l’emmener dîner au centre d’achat, cette dernière laisse une personne inconnue accompagner l’enfant aux toilettes pendant qu’elle règle les repas. Geste serviable ou mise en danger de l’enfant? L’anecdote, transmise avec légèreté aux parents, va déclencher une cascade de réactions de moins en moins rationnelles.

Surtout de la part de Madra, que tout ramène à la maternité, y compris son prénom. Au travers de plusieurs situations dans lesquelles les parents peuvent se reconnaître au quotidien, Madra nous plonge dans une société où l’hypervigilance remplace la confiance, et où la frontière entre supervision parentale et une forme de contrôle pathologique est terriblement mince. Sans épiloguer sur ce qui peut amener nos sociétés contemporaines à surprotéger les enfants, la pièce interroge sur les conséquences de ces comportements, qui peuvent à terme mettre l’être cher en danger.

La pièce est captivante: les incertitudes de Maddy sont vraisemblables et dans un monde plein d’inconnus, de nouvelles remplies d’affaires sordides où l’agresseur est un proche ou un voisin, comment ne pas penser que le monde extérieur n’est qu’une succession de dangers, surtout lorsque l’on ne pense qu’en terme de « et si? ». Que faire quand cela finit par empoisonner toute l’existence des parents et que leur vie se renferme sur l’enfant? S’appuyant sur une perspective de parentalité très genrée, Madra pousse la logique surprotectrice maternelle à son paroxysme. C’est à la fois très raisonné et troublant et cela nous offre une belle réflexion sur l’instinct parental (en anglais, la pièce de l’auteure écossaise Frances Poet porte le titre de Gut, i.e. l’instinct viscéral).

Madra travaille son propos par couches, tissant une toile d’ambiguïtés tout au long de la pièce et excellant dans la mise en scène du doute. On notera la très belle utilisation du décor et des projections qui y sont faites, qui sont totalement au service du texte et du propos. La pièce, traduite par Marc-André Thibault, brille par la fluidité et la qualité de ses textes et la grande justesse de jeu du quatuor d’acteurs.ices permet à Madra de réussir à faire passer les spectateurs par un grand nombre d’émotions. Y compris les personnes qui n’ont pas d’enfant.s. D’ailleurs, si c’est le cas, Madra pourrait vous permettre de comprendre les angoisses de vos amis parents.

Informations complémentaires

  • Du 14 au 25 novembre 2023 au Théâtre Périscope
  • Distribution: Sylvie de Morais-Nogueira, Frédéric Blanchette, Louise Bombardier, Marc-André Thibault.
  • Texte: Frances Poet
  • Traduction : Marc-André Thibault
  • Mise en scène: Marie-Hélène Gendreau
  • Production: Théâtre Bistouri