Nous publions chaque mois un extrait de l’autobiographie de Malcolm Reid, écrivain résidant depuis de nombreuses années dans le Faubourg, et citoyen engagé. Il habite Québec depuis longtemps, mais pas depuis toujours. Ici, par tranches, il écrit le récit de son chemin vers… Chaque premier samedi du mois, nous vous proposons un chapitre de « Roosevelt Avenue ». 

J’ai eu l’idée qu’il fallait, en racontant la naissance du Nouveau Parti Démocratique, vous dire ce que je pense qu’on a accompli pendant cette semaine en 1961.

C’était une semaine d’été chaude.

C’était à Ottawa.

J’y étais, et ce fut un grand morceau de mon éducation politique.

D’abord, on a choisi le nom pour le parti. Ce serait le Nouveau Parti Démocratique – « NPD » étant un raccourci et « les Néo-Démocrates » étant un autre. Deuxièmement, nous avons choisi un chef. C’était Thomas Clement Douglas, « Tommy Douglas », pour tous nous-autres qui avons assisté à cette semaine de débats. Pour les gens de l’Ouest, il était déjà Tommy. Pour nous, de l’Est, TC Douglas est devenu « Tommy ».

Tommy Douglas avait 57 ans cet été-là. Il avait vingt ans comme premier ministre derrière lui, dans la province rectangulaire en plein milieu des Prairies canadienne, la Saskatchewan. Il était, depuis 1945 (la fin de la Guerre), élu et réélu en Saskatchewan.

Les « idea-men » et les « idea-women » derrière la fondation de ce nouveau parti étaient convaincus qu’il avait un charisme qui frapperait, coast-to-coast. En Saskatchewan, son étiquette de parti était CCF, « Co-operative Commonwealth Federation », une étiquette plus modestement connue au Canada. Le gouvernement CCF avait un point faible qu’on voit aujourd’hui… Il n’avait jamais réussi à se rapprocher des Premières Nations, très nombreuses sur les Prairies. Les Indiens (comme on disait alors) étaient du ressort du Fédéral. Ils vivaient dans la pauvreté. Et, disons-le, souvent aussi dans le mépris des cultivateurs blancs. Douglas le savait, mais ne voyait pas comment révolutionner la situation.

Il allait de l’avant avec un état-providence musclé.

La Saskatchewan avait une législation du travail très pro-travailleurs. Elle avait des entreprises publiques qui profitaient aux saskatchewanais. Elle avait beaucoup de coopératives de toutes sortes. Elle équilibrait toujours son budget. Elle avait une scène culturelle fertile (le romancier W.O. Mitchell, le dramaturge Ken Mitchell, la chansonnière Joni Mitchell!), et elle avait un grand plan d’avenir…

Elle se préparait à créer un programme universel et gratuit, de soins de santé pour ses citoyens. Le premier au Canada.

Tommy Douglas était un orateur politique très spécial, un tribun, une voix qui tonnait. Tommy disait, par exemple :

« Dans notre monde, les états trouvent des millions et des milliards à exploser dans des guerres, et ne trouvent pas l’argent pour s’attaquer aux maux des peuples ».

« Dans notre système c’est chacun pour soi, comme l’éléphant l’a dit en dansant parmi les souris ».

Les Québécois allaient-ils se séparer et fonder leur propre nation? Ils ont le droit, disait Tommy. « Nous avons vu des projets comme ça surgir dans l’ouest au temps de la Grande Dépression… Mais si on travaille ensemble contre la misère et l’insécurité, je pense que les Québécois vont vouloir rester dans la Confédération ».

« J’ai toujours cru que les Canadiens pourraient prendre les choses en main et se défendre contre les grandes corporations privées. C’est ce que nous avons fait en Saskatchewan. On peut le faire à travers le Canada ».

Mon ami Jim, qui m’aide à retrouver cette époque, se rappelle d’une rencontre avec Monsieur Douglas à bord d’un avion allant vers l’ouest. L’humour jouait un grand rôle dans la magie de Tommy, rappelle-t-il. « On s’est parlé avant le décollage, à sa banquette. Après, j’ai rejoint une dame âgée dans le siège qui m’était alloué. Tommy se retourne et dit ‘Madame, si ce jeune homme est trop entreprenant avec vous, avertissez-moi. Je le rappellerai à l’ordre!’ ».

Au congrès, Douglas n’avait pas été le seul à briguer le poste de chef. Hazen Argue, un cultivateur-député, avait tenté sa chance aussi. Mais Tommy était sûr de gagner. Tous ls bonzes du parti le voulaient, et la masse des délégués aussi. « He’s the one ». « He’ll change things ». « He might just pull the Canadian people to socialism!».

Il a tiré mon ami Jim vers le socialisme.

« Oublie pas Malcolm, j’suis un peu plus jeune que toi. Lors du congrès, j’étais encore un ado à Edmonton. Notre professeur à lancé un club de discussion politique en classe, et ce club m’enthousiasmait. À ce moment-là j’étais un jeune conservateur. Mais j’ai changé cette année-là.

« Ah oui, j’ai changé! J’ai fait une liste des problèmes de l’époque, selon moi. Il y avait l’unité du Canada, les distances entre les régions. Et il y avait la menace de la guerre nucléaire. Lequel était le plus grave? Clairement, c’était la guerre nucléaire. Alors j’ai changé mon allégeance, je me suis rapproché des socialistes. Eux me semblaient avoir la plus grande chance de confronter cette menace ».
Bref :

« Désormais, j’étais peacenik ».

Jim et sa femme Janet sont les peaceniks montréalais avec qui j’ai gardé le plus proche contact. Jim était Westerner sans être Saskatchewanais. Il est arrivé à Montréal peu après, et s’est senti libéré de l’esprit straight de son monde à Edmonton. J’ai déjà parlé de son implication avec SUPA. Un long voyage à San Francisco a compté aussi!

Jim : « Et quand j’ai entendu Tommy Douglas prendre la parole – Tommy l’idéaliste, Tommy l’humoriste – j’étais gagné ». (Douglas était un ancien pasteur protestant, mais il ne mêlait pas religion et politique dans ses discours. Il visait un public large).

Qu’avions-nous accompli?

Le grand objectif du Nouveau Parti Démocratique était de persuader les Canadiens de devenir une démocratie un peu comme la Suède.

L’idée avait un fort attrait pour une partie du Québec, le monde syndical. Ces gens sortaient de grands combats. La grève d’Asbestos (mineurs d’amiante, 1949)… La grève de Murdochville (mineurs de cuivre, 1957)… Le début de la syndicalisation des services publics…

Mais une seule province avait vraiment fait le choix de la social-démocratie. Et cette province était dans l’Ouest entre le Manitoba et l’Alberta, un carré de champs de blé!

Qu’avions-nous accompli?

On avait adopté un programme progressiste et on avait eu un splash de presse, plus philosophie que le journalisme politique ordinaire.

On avait recruté beaucoup de jeunes, beaucoup de femmes, beaucoup d’ethniques. Notre action attirait l’attention aux États-Unis et ailleurs.

On avait débuté une discussion du Canada comme pays à deux nations (visible quand Douglas parle d’indépendantismes dans l’ouest).

Encore à découvrir était la troisième nation, qui serait la coalition indigène qui émerge maintenant, le grand événement canadien de ce siècle.

Beaucoup de choses débutaient. « Beaucoup! » je dirais à Tommy s’il était là devant moi.

Retrouvez ici le soixante-sixème chapitre de Roosevelt Avenue.