Nous publions chaque mois un extrait de l’autobiographie de Malcolm Reid, écrivain résidant depuis de nombreuses années dans le Faubourg, et citoyen engagé. Il habite Québec depuis longtemps, mais pas depuis toujours. Ici, par tranches, il écrit le récit de son chemin vers… Chaque premier samedi du mois, nous vous proposons un chapitre de « Roosevelt Avenue ». 

Quand on a vécu Ten days that shook the world*, le retour dur Terre peut être difficile.

J’avais quelque peu participé à la création d’un nouveau parti politique à travers le grand terrain appelé Canada. J’avais trippé. J’avais pris un café à minuit avec un vieux militant des quais de Vancouver qui s’appelait « Lefty Morgan ». Lefty m’avait dit : « méfie-toi des leaders, petit. C’est le peuple qui compte, le monde ordinaire, dans la rue, dans les shops, dans les salles syndicales ».

Et là, j’étais de nouveau un adolescent vivant sur Roosevelt avenue, rue de banlieue à Ottawa où tout était comme avant. Je venais d’avoir 20 ans.

Mais j’avais de nouveaux amis.

Des gens de mon âge, des jeunes d’une gauche nouvelle rôdant partout en Occident, des…

Oh, identifions-les! Des Saskatchewanais.

John Gallagher venait de Moose Jaw, où son père était conducteur de locomotive pour la Canadian Pacific. Classe ouvrière juxtaposée avec classe ecclésiastique, alors… car un frère de son dad était un évêque de l’église catholique du Canada. « Ouais, mon oncle Norman. Les Gallagher étaient bien fiers quand il a décidé de devenir prêtre. Mais j’pense pas qu’ils s’attendaient à ce qu’il devienne un prélat! Ces choses-là arrivent, je suppose ».

Et John Gallagher (une tête très marxiste – et je suppose athée,) avait une blonde qui était blonde en effet, la délicate et déterminée Patricia. Ils habitaient ensemble un petit appart’ de sous-sol dans le cœur de la ville d’Ottawa.

Le cœur de la Saskatchewan socialiste était à Regina, la capitale de la province. Ville ironique, pourrait-on dire. Car c’était le château fort de Tommy Douglas et de son équipe d’intellos et de travailleurs; et aussi le château fort de la très conservatrice Gendarmerie Royale du Canada, et l’endroit où Louis Riel avait été pendu en 1885 pour la révolte des Métis et de leurs alliés des Premières Nations, insurgés contre l’envahissement des Prairies par des colons blancs planteurs de blé.

Al Engler, lui, venait de Regina. Comme son ami John Gallagher, c’était un grand adolescent de 20 ans, déjà établi dans une vie de couple qui ressemblait beaucoup à un mariage. Sa blonde à lui, Cindy, était une brune, plus réservé que pat Gallagher mais capable de recevoir la gang qui se réunissait souvent chez eux avec café et sandwichs. Et d’intervenir dans leurs débats. Car tout le monde parlait politique, abondamment. Al était trotskyste, le leader de notre groupe (même si on avait de multiples opinions).

Ces jeunes étaient de mon âge. Mais je sentais une… sophistication, disons. Leur ville, Regina, était une petite ville comparée à Ottawa. Mais c’était la capitale de Tommy Douglas. Là-bas, sur les Prairies, John et Pat Gallagher, Al et Cindy Engler, avaient été élevés dans des familles « CCF », comme la mienne. Seulement, leurs familles demeuraient en territoire CCF. La lutte que le gouvernement allait mener pour la médecine socialisée était leur lutte.
L’été avançait.

Les médecins, incité par l’American Medical Association et la droite saskatchewanaise, ont refusé de soigner le peuple. Le peuple avait peur. « Nous avons gagné l’élection sur cet enjeu, disait le Premier Ministre Woodrow Lloyd, successeur de Tommy Douglas. Le peuple veut notre plan. Nous allons voir à ce qu’il soit soigné, et par des médecins qui y croient.

« Nous invitons des médecins progressistes à venir en Saskatchewan pour nous aider. Des médecins de la Grande-Bretagne ont déjà promis de venir ».

On suivait ça de près.

À une soirée chez un couple dans la quarantaine, attiré par ces jeunes progressifs mais craintifs devant leur marxisme, le monsieur a dit : « Il me semble que dans une entreprise, un simple respect des patrons pour les travailleurs ferait toute la différence… ». Al répliquait « Ah! Mais y a rien comme un bon syndicat pour arracher ce respect ».

Je me souviens d’une formulation d’Al Engler. « La Révolution française disait vrai quand elle disait Liberté, Égalité, Fraternité. Tout est là. Mais st-il réalisé ce trio d’idées? Tout ce qu’on essaie de faire dans la gauche d’aujourd’hui, c’est de donner une réalité à ces mots ».

Je me souviens aussi du ton blagueur de John Gallagher quand il parlait de son idée de la révolution sociale à faire : « Évidemment, faut qu’on se tienne dans le corset du socialisme démocratique, hein? ».

John avait un franc-parler ouvrier. « Quand je vivais en Saskatchewan, je pensais que le Québec revendiquait des choses pour la culture française, mais qu’en réalité, il se pliait à un Canada moderne. Un Canada sous influence américaine, où seul l’anglais était une option réaliste ».

Là, il allait souvent à Hull, du côté québécois de la Rivière des Outaouais. Il débattait souvent avec Claude Robillard, le copain francophone de notre cercle de jeunes néo-démocrates. D’un café à une bière, d’une bière à un joint de pot, ses vues de complexifiaient.

« Je me suis réveillé. J’entends les gens parler français à tous les jours; vivre leur vie en français. C’est pas comme on pense souvent dans l’Ouest. C’est un autre monde le Québec. C’est du solide ».

L’Ottawa néo-démocrate que je fréquentais maintenant était différent de toute autre vie que j’avais vécue à Ottawa pendant mes vingt premières années.

Je me rendais lentement compte que je vivais ma dernière année sur Roosevelt Avenue. Mes parents étaient séparés. Mon frère Ian – il vivait son voyage-qui-forme-la-jeunesse quelque part en Yougoslavie ou en Grèce. Charlotte allait être obligée de vendre le 539 Roosevelt avenue. Obligée? Mais je pense qu’elle voulait aussi. Elle venait d’obtenir son diplôme de bibliothécaire, ça voulait dire une page à tourner, une nouvelle carrière pour elle, à 56 ans! J’avais beaucoup aimé discuter avec elle, chaque nuit à mon retour du congrès néo-démocrate.

Une nouvelle famille s’était installée face à nous. Cette famille avait un fils de mon âge, intéressé par les mêmes choses que moi. Patientez. Je vous parlerai de mes dernières discussions sur Roosevelt avenue.

Retrouvez ici le soixante-septième chapitre de Roosevelt Avenue.

* Dix jours qui ébranlèrent le monde (titre original : Ten Days that Shook the World) est un livre de John Silas Reed publié en 1919 racontant la prise du pouvoir en Russie par les Bolcheviks sous la direction de Lénine.