Avec Trout Stanley, le Théâtre Niveau Parking propose une fable décalée et infiniment poétique, qui rend heureux et donne envie d’aimer.
Grace Ducharme et sa sœur jumelle Sugar Ducharme vivent en bordure d’une décharge à Tumbler Ridge, Colombie-Britannique, seules depuis le décès de leurs parents dix ans auparavant. Grace l’extravertie s’épanouit en pitoune de pancarte lorsqu’elle ne travaille pas dans la décharge où elle trouve la vérité sur le monde dans les poubelles. Sugar quant à elle s’est affublée des vêtements de sa mère, qu’elle a revêtus lors des funérailles parentales pour ne plus jamais les quitter et n’est plus sortie de la maison. Sugar, assommée – littéralement – par les affaires du quotidien, fabrique des figurines tragiques pour représenter le monde. Ce jour-là, les sœurs ont 30 ans, une danseuse championne de scrabble a disparu et un tueur en série pourrait rôder dans les parages…
Trout – comme “Truite” – Stanley arrive un jour dans ce fragile équilibre gémellaire. Ainsi nommé par des parents ayant aussi peu d’amour à donner que de compétences parentales, il marche depuis des années pour aller rejoindre un lac dans le nord, où ses parents se sont électrocutés en canot avec un détecteur de métal. Il s’est un peu perdu en chemin même s’il n’a pas perdu de vue son objectif, une passion pour les pieds et est incapable de mentir.
Les personnages sont ainsi posés. Et leurs interactions ouvrent une fenêtre sur un univers tout à fait original et savoureux, parfois loufoque. Il faut se laisser porter par la délicate absurdité et la poésie décalée et mélancolique de Trout Stanley, la tendre folie qui permet de creuser le drame intime comme on pèle un oignon de traumatismes. Dans une langue magnifique et délicieuse, pleine de métaphores, de grâce et de subtilité, on passe du tragique à l’attendrissement, on s’esclaffe et on s’attendrit devant des réflexions décalées et sensibles. La pièce aborde de nombreux enjeux sombres, comme le deuil, le suicide, l’amour surprotecteur, sans jamais que cela ne soit malaisant. La beauté dysfonctionnelle des trois personnages sert avant tout à transmettre un message plein d’amour.
Dans cet univers onirique, un peu étrange, peuplé d’objets inquiétants en raison de leur accumulation, les limites de la maison sont constituées de bouteilles d’alcool ou de liquides plus ou moins santé et de curieuses figurines d’argile. La maison, encombrée de souvenirs, est entourée de poubelles. La mise en scène d’Hugues Frenette (que l’on a pu voir l’année dernière au Périscope dans Le garçon de la dernière rangée) et la scénographie de Vano Hotton sont à la hauteur de ce texte.
Tout fonctionne de manière organique: le texte, le jeu d’acteur, les décors, la mise en scène, les éclairages. Trout Stanley au Périscope est une pièce dont l’équilibre frôle la perfection: la très belle performance des trois comédiens (éblouissants Stéfanelle Auger, Mélissa Merlo & Steve Jodoin) met parfaitement en valeur un texte riche, brillant. Voici une pièce qui fait du bien et offre un grand bol de finesse, d’intelligence et d’originalité. On sort du théâtre avec le sourire aux lèvres et avec La chanson des escargots qui vont à l’enterrement de Prévert en tête (on vous laisse assister à la pièce pour comprendre). Une réussite.
Informations complémentaires
- Du 6 au 24 février.
- Texte : Claudia Dey
- Traduction et adaptation : Manon St-Jules
- Mise en scène : Hugues Frenette
- Distribution: Stéfanelle Auger, Mélissa Merlo & Steve Jodoin.
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