Jusqu’à brûler les boiseries, présentée jusqu’au 23 mars au Premier Acte, nous plonge dans une douloureuse relation marquée par la violence conjugale et sur les chemins cahoteux de la reconstruction.

Fred rencontre Charles. L’amour naît. Vif, heureux, intense. Mais au fil des mois, la relation s’effrite et sous les coups de Charles, Fred se décompose jusqu’à devenir une ombre. Jusqu’à ce qu’il arrive à trouver les ressources en lui et autour de lui pour revivre. Ce n’est pas un conte de fées. Il n’y a pas de miracle et la vérité est aussi triste et blafarde qu’un néon d’hôpital: la violence conjugale est un traumatisme dont on traîne les stigmates bien après la fin de la relation.

Jusqu’à brûler les boiseries revient sur les instants de la vie du couple, par vignettes, de la rencontre aux multiples séparations, en passant par les petits mots doux qui deviennent perfides, la dépréciation verbale qui précède les coups de poing, l’isolement progressif de la victime. C’est ainsi toute la mécanique du contrôle coercitif qui est mise en lumière et qui montre qu’aucune relation amoureuse n’est exempte de relations de pouvoir ou à l’abri de la violence, qu’elle soit hétérosexuelle ou au sein de la communauté LGBTQ+. La pièce à le mérite de nommer le symptôme de stress post-traumatique et l’importance des ressources d’aide auxquelles Fred va finalement faire appel après avoir réalisé que l’alcool qu’il croyait être une béquille achevait en fait l’entreprise de destruction mise en place par Charles. Grâce à l’IVAC, il entreprend une thérapie de deux ans avec une psychologue, qui lui permettra de nommer les choses et de recommencer à aller un peu de l’avant.

Avec Jusqu’à brûler les boiseries, l’auteur Silviu Vincent Legault a réalisé une œuvre d’autofiction, s’appuyant sur son histoire personnelle, en vue de reprendre le narratif sur son histoire. On pourrait qualifier cette pièce de pédagogique, mais ce serait réducteur. Car la pièce est habilement documentée, presque documentaire, et fait preuve de beaucoup de nuances. Elle a le mérite de mettre en lumière que la violence ne commence pas et ne s’arrête pas aux coups portés et qu’elle dure même quand on a été assez fort‧e pour mettre fin à la relation. Et que “l’amour, on en a pas une quantité illimitée, on doit choisir à qui on le donne” comme le mentionne si justement la psychologue de Fred.

La mise en scène (que l’on doit également à Silviu Vincent Legault) est tout aussi nuancée que le propos, tout en proposant des moments complètement décoiffants. La pièce s’ouvre ainsi sur ce que nous n’hésiterons pas à qualifier de morceau d’anthologie, à mi-chemin entre la comédie musicale et le cabaret des Années folles, mettant en scène le côté festif de l’alcool – qui tient un rôle majeur dans toute cette histoire. La souffrance de Fred est également rendue visible par un ensemble de procédés, comme la décomposition des mouvements de violence ou la spirale de la dépréciation par un chœur d’interprètes. De quoi pardonner quelques petites longueurs dans cette pièce dont le message devrait être entendu par le plus de personnes possible.

Impossible de ne pas souligner la très belle énergie qui se dégage des sept interprètes de la pièce, qui semblent tous avoir trouvé le ton juste pour donner vie aux multiples personnages. Pierre-Olivier Roussel donne au personnage de Fred toute la fragilité et le désemparement nécessaire. On remarquera également la retenue douce et composée de Gaïa Cherrat Naghshi, la versatilité de Zoé Tremblay-Bianco ou encore la part d’ombre habilement portée par Marc-Antoine Sinibaldi dans le rôle de Charles. Valérie Laroche, Lé Aubin et Janie Lapierre complètent cette heureuse distribution sans faux pas.

Faire une pièce sur la violence conjugale peut être un exercice périlleux. La ligne est mince entre le pathos et la visée pédagogique pleine de bons sentiments. Jusqu’à brûler les boiseries est une pièce au ton juste et nuancé. On aimerait que cette pièce continue à faire œuvre utile et aille à la rencontre des jeunes adultes, dans les Cégeps par exemple. En attendant, on vous invite à prendre votre place au Premier Acte d’ici au 23 mars.

Informations complémentaires

  • Billets et autres
  • Production: Théâtre Paréidolies
  • Texte et mise en scène: Silviu Vincent Legault
  • Interprétation: Lé Aubin, Gaïa Cherrat Naghshi, Janie Lapierre, Pierre-Olivier Roussel, Marc-Antoine Sinibaldi, Zoé Tremblay-Bianco, Valérie Laroche.