Nous publions chaque mois un extrait de l’autobiographie de Malcolm Reid, écrivain résidant depuis de nombreuses années dans le Faubourg, et citoyen engagé. Il habite Québec depuis longtemps, mais pas depuis toujours. Ici, par tranches, il écrit le récit de son chemin vers… Chaque premier samedi du mois, nous vous proposons un chapitre de « Roosevelt Avenue ». 

C’est un matin d’été en 1961. Une lettre arrive dans la boîte à malle du 539 Roosevelt Avenue, Ottawa. C’est notre rue, dans une banlieue d’Ottawa qui s’appelle Westboro.

(Peut-être que mes lecteurs le savent? Actuellement, ma compagne Réjeanne et moi, nous nous préparons à un épique déménagement. Notre maison à Québec est pas mal grande à porter sur nos épaules maintenant. Nous cherchons un logement modeste, gérable, à Québec. « La Maison Rose » est vendue, mais ah! Nous voulons rester dans notre cher faubourg Saint-Jean-Baptiste).

Une page se tourne pour nous, alors le moment est bon pour raconter un déménagement fait il y a longtemps. J’avais vingt ans. Cette lettre m’arrivait d’un journal de Sherbrooke, Québec, The Sherbrooke Daily Record. Le Record m’offrait un poste de reporter. Je sautais de joie. Ma mère était là. « Maw, le Record veut m’engager! Tu le sais, c’est ce que je vise depuis cinq ans ». Ma mère souriait. « Et Maw – la révolution tranquille bat son plein! ».

Qu’était Westboro? Quelles étaient ses forces et ses faiblesses? Qu’est ce qui me contentait et qu’est-ce qui me manquait? Avant de quitter Roosevelt Avenue, j’aimerais comprendre.

Pour moi, Westboro était la vie de la classe moyenne du Canada anglais. Une vie paisible et humaniste dans son ensemble, et très centriste politiquement.

Et si on cherchait, il y avait dans Westboro un Canada anglais plus radical. C’était invisible pour la majorité, mais visible pour moi. Je le voyais surtout à travers ma famille, à travers Ewart et Charlotte, à travers le duo que je formais avec Ian, mon frère. Mais occasionnellement, je pouvais le voir ailleurs sur le territoire de Westboro, chez d’autres gens de Westboro, ce Canada anglais plus radical.

Dans ma ville natale, j’avais fait des choses, j’avais vécu des choses! J’avais tenu une chronique appelée Eyes & Ears dans un hebdo de Westboro. J’amenais mon texte chaque semaine au bureau de l’hebdo, situé tout près des usines des compagnies qui imprimaient les billets de banques pour le gouvernement. Cette chronique commentait la radio et la télévision. Parfois, je mentionnais des émissions francophones, que je comprenais très imparfaitement. J’écoutais aussi des disques de Jacques Labrecque, de Félix Leclerc. J’explorais.

Qu’était Westboro? Je cherchais ses touches de bohème. J’aimais le théâtre pour enfants que Marian Taylor montait quand j’étais petit (Jack and the Beanstock). J’aimais faire du théâtre quand j’étais plus grand: Edgard Demers était le metteur en scène (nom de son théâtre: « Victor Vic »). J’aimais l’Ottawa Puppet Festival, où Ian avait été photographié une année et la photo publiée sur la page de couverture du cahier de fin de semaine du Ottawa Citizen: « Puppets take attention of bright-eyed Ian Reid ».

Cette nouvelle ville où j’allais, j’aurais à la déchiffrer. Je n’y avais jamais été, jamais. Alors? La révolution tranquille battait son plein? J’allais être un témoin. Révolution! Changement! Aventure! Défi! Et peut-être romance aussi? (À Westboro, j’avais toujours été si timide avec les filles…).

Avant d’entamer ce voyage, j’ai un dernier portrait à faire du Canada anglais des années 1950. Le Canada anglais qui m’a formé. Un adieu. Un au-revoir.

Je le ferai le mois prochain. Je le ferai en évoquant deux héros populaires canadiens-anglais, très différents.

Un homme. Une femme.

Terry Fox. Viola Desmond.

Retrouvez ici le soixante-dixième chapitre de Roosevelt Avenue.