Sur la scène du Périscope jusqu’au 27 avril, Nina ou de la fragilité des mouettes est un objet théâtral multidisciplinaire, qui nous plonge au coeur des tourments de personnages qui voient leur monde s’effondrer.
Nina ou de la Fragilité des mouettes empaillées reprend les personnages principaux de La Mouette, de Tchekhov: Nina Mikhaïlovna Zaretchnaïa, Konstantin (Kostia) Gavrilovitch Treplev et Boris Alexeïevitch Trigorine. Trois personnages qui se retrouvent 15 ans plus tard dans une maison où se sont nouées leurs destinées et qui est désormais peuplée de fantômes et de reliques d’un passé inaccessible. Des retrouvailles sur fond de fin du monde, entre la Révolution russe de 1917 et les effondrements qui surgissent à la fin de la Première Guerre mondiale.
Quinze ans après la passion, que reste-t-il, sinon les tourments? Nina (ébouriffante Mary-Lee Picknell) revient comme une tempête de neige pour demander à Kostia s’il l’aime encore, s’imposer dans sa vie et ne plus ressortir de la maison, amère d’une carrière d’actrice qui n’a jamais connu le succès et paralysée devant le temps qui passe. Kostia (impressionnant Marc-Antoine Marceau, parfait dans ses silences), que les échecs littéraires et amoureux ont rendu indifférent au monde, la regarde envahir sa maison, lui demander d’arrêter le temps, et entre deux bûches de bois qu’il préfère couper, répond par de superbes silences aux monologues amers et désillusionnés de Nina. Trigorine (si calme et impassible Jean-Sébastien Ouellette) quant à lui, sait déjà qu’il est un “vestige d’un monde qui n’existe plus, aspiré par la marée de l’histoire”.
L’absurdité et l’opacité du nouveau monde rattrape ces trois personnages, qui essaient tant bien que mal de se (re)définir dans un univers qui s’effrite inexorablement. Les châteaux de sable de leurs illusions tombent en ruine et il n’existe plus aucun refuge pour les protéger. “Tout ce que nous avons pensé, ressenti, aimé, a disparu. Nous sommes des pantins dans un musée du passé” mentionne Nina.
Nina est une pièce complexe, dense, aux multiples couches d’interprétation. Cette mise en abyme sur l’amour, le théâtre, les mondes qui disparaissent et l’envie de se sentir vivant, sur l’écriture et le lectorat, pourra sembler difficile d’accès au premier abord, d’autant plus que le public contemporain est peu familier de la littérature russe et de ses codes. Sa belle lenteur contemplative et expressive, les tourbillons introspectifs et les dialogues à haute teneur philosophique entre deux crises de folie peuvent déstabiliser. Mais on pourra apprécier la réappropriation des figures classiques et les interrogations intemporelles qui jalonnent l’existence humaine.
Ces inconforts sont fort heureusement tempérés par la superbe scénographie de Nina, la musique et les projections saisissantes, ainsi qu’un jeu d’acteurs de très haut vol. Esthétiquement, la pièce nous enveloppe dans un cocon aussi étouffant que poétique. Les projections d’images, notamment d’archives historiques, donnent à la pièce un souffle très bienvenu. Les musiques shoegaze/dream pop, la voix diaphane et éthérée de Marianne Poirier (L I L A), les guitares de Kerry Samuels et Josué Beaucage qui interprètent en direct des morceaux où l’on aimerait se replonger bien après la fin de la pièce, sont l’une des réussites de la pièce, métissant habilement les mondes du théâtre et de la musique. Les musiciens complètent les personnages principaux, tantôt intervenant en écho, tantôt rappelant leur jeunesse disparue. Ce mélange de langages scéniques, issu de la volonté d’expérimentation portée par la compagnie de théâtre La Trâlée, est très accessible et beau. Cette mise en scène de Guillaume Pepin (Projet HLA, Là où je me terre, notamment) est intelligente et aboutie.
Nina ou de la fragilité des mouettes empaillées plaira à un public exigeant, aimant les débats intellectuels et souhaitant profiter d’une expérience théâtrale complète, belle et novatrice.
Informations complémentaires
- Billets
- Du 9 au 27 avril
- Texte : Matéi Visniec
- Mise en scène : Guillaume Pepin
- Distribution: Mary-Lee Picknell, Marc-Antoine Marceau, Jean-Sébastien Ouellette,
Marianne Poirier (L I L A), Kerry Samuels & Josué Beaucage - Direction de production: Émilie Rioux
- Assistance à la mise en scène: Nadia Girard Eddahia
- Décor: Dominique Giguère
- Éclairage, intégration vidéo: Keven Dubois
- Costumes: Laurie Carrier
- Vidéo: David B. Ricard
Laisser un commentaire