Déclaration d’amour au cinéma populaire et pièce sur la quête de l’intime et de l’identité, You’re Talking to Me? est présentée au Premier Acte jusqu’au 11 mai. À la frontière du standup comique et du théâtre, ce soliloque aussi étonnant que percutant est porté par l’auteur et comédien Juan Arango, seul en scène.

Un comédien, dont on ne saura jamais le nom, participe à une soirée stand-up, où il interprète une multitude d’acteurs américains avec un talent évident. Après son passage sur scène, il rencontre une jeune femme à laquelle sa timidité maladive l’empêche de répondre. Après une chute dans un container et un réveil où il se retrouve dans la peau de Robert de Niro, il saisit cette “chance” de pouvoir refaire sa vie.

Une vie qui n’était pas vraiment la sienne. L’inhibition chronique qui l’afflige, la dépréciation incessante que lui fait subir sa petite voix intérieure et l’impossibilité d’engager un contact avec d’autres être humains, font du personnage un être qui ne peut vivre que paré d’un masque et vivant dans la peau des autres. Une vie par procuration, nourrie du cinéma auquel il a été exposé depuis son enfance, une vie vécue au prisme des différents rôles incarnés par ses acteurs préférés. “Un personnage pour chaque situation” se répète-t-il constamment. “Je peux être n’importe qui” ajoute-t-il. N’importe qui, sauf lui. Alors, quand la jeune femme semble s’intéresser à lui, à sa personnalité réelle, et qu’il n’existe aucun personnage dans son répertoire pour lui répondre, quelque chose se brise un peu plus. Il faut fuir, dès que possible. Et l’on bascule alors dans un univers onirique.

Dans sa chute, il se repasse le film de sa vie. Et lorsqu’il se relève, sa vie a basculé dans un autre univers, où il est enfin quelqu’un de reconnu et admiré. Un monde un peu étrange tout de même, ou tout semble arrangé avec le gars des vues et où il n’y a peut-être pas que des avantages à ce que l’on vous prenne pour Robert de Niro.

Nonobstant quelques longueurs, la pièce pose plusieurs questions intéressantes, sur l’intime, l’identité, l’estime de soi et comment être soi-même. “Les gens ne savent pas qui je suis donc ne peuvent pas m’aimer” dit le personnage, qui ajoute du même souffle que s’ils le savaient, ils ne l’aimeraient pas, parce qu’il ne vaut rien. Que reste-t-il de nous lorsqu’on s’est réfugié derrière un nombre incalculable de masques et que l’on a passé sa vie à vouloir échapper à ce que nous étions et aux traumatismes que nous traînions? Que reste-t-il quand on se sent tellement seul que le dialogue avec l’autre est impossible, que le monologue ne peut s’adresser à personne… Le personnage soliloque. Il n’est plus en mesure de parler à quiconque, juste lui-même.

J’aimerais que ma vie soit un film.

Qui n’a jamais souhaité une telle chose, ou du moins vivre dans son film ou son univers cinématographique préféré, simplement pour ne plus être soi le temps d’un long métrage? Comme un écho, la mise en scène de Christian Fortin est intelligente, très efficace et bourrée de détails qui sauront parler aux cinéphiles. Chaque détail compte et les projections sur tout ce qui peut servir d’écrans sont très intéressantes. Globalement, cette pièce est truffée de nombreuses références qui pourraient être difficiles à saisir si l’on ne connaît pas le cinéma américain des 30-40 dernières années. Cela n’empêchera néanmoins pas d’apprécier ce bel hommage au cinéma populaire et pourrait donner le goût de voir ou revoir certains films.

La prestation de Juan Arago est remarquable. Pendant 90 minutes, il fait montre d’une énergie sans faille et d’une gamme de performance étendue. Le stand-up d’ouverture, dernier moment de réalité où le personnage interprète une multitude d’acteurs, imitant leurs élocution ou postures corporelles, est à cet égard très réussi. De Jim Carrey à Robin Williams, en passant par Vince Vaughn, Owen Wilson, Matthew McConaughey, Liam Neeson, Woody Harrelson ou The Rock, la richesse de son jeu soutient parfaitement une performance physique et totale de la part d’un acteur et auteur prometteur.

Informations complémentaires

  • Du 30 avril 2024 au 11 mai 2024
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  • Production: Collectif de la Tanière
  • Texte et interprétation: Juan Arango
  • Mise en scène: Christian Fortin
  • Avec la participation de Maureen Roberge