Nous publions chaque mois un extrait de l’autobiographie de Malcolm Reid, écrivain résidant depuis de nombreuses années dans le Faubourg, et citoyen engagé. Il habite Québec depuis longtemps, mais pas depuis toujours. Ici, par tranches, il écrit le récit de son chemin vers… Chaque premier samedi du mois, nous vous proposons un chapitre de « Roosevelt Avenue ».
Quand est-ce que j’ai rencontré Gustave Steenland?
Je ne me souviens pas du moment exact. Mais cette rencontre a été facilitée par une remarque que j’avais entendue dans la bouche de Gerry McDuff, mon chef des nouvelles au Sherbrooke Daily Record, qui parlait avec l’équipe.
« Je viens de croiser Gus Steenland, disait Gerry. Il a l’air de bien aller et il saluait la salle de rédaction ».
Le ton amical de Gerry me rassurait, et aussi son emploi de l’abréviation « Gus » pour l’ex-imprimeur. Ça suggérait que le conflit de travail, dont j’avais lu la nouvelle à Ottawa avant de voyager vers Sherbrooke était réglé, calmé. Les gars des presses du journal avaient leur syndicat. Steenland n’était plus là. Mais il semblait être encore aimé d’un peu tout le monde au Record. Ce ne serait pas un faux pas si je le rencontrais, me liais d’amitié avec lui.
Qui était le vrai patron du Sherbrooke Daily Record?
C’était un cas particulier.
Le propriétaire du petit journal était un magnat de Toronto, John Bassett. Bassett était un baron de la presse et aussi un baron du sport, coproprio des Toronto Maple Leafs. Son grand journal était le Toronto Telegram, sensationnaliste et conservateur. Chaque soir il était le rival du puissant Toronto Star, progressiste et fidèle au Parti Libéral (le Globe and Mail était le « journal sérieux du matin » de la ville, plutôt centriste).
Peu de gens savaient que le magnat Bassett possédait aussi un petit quotidien régional dans les Cantons de l’Est du Québec. Il ne semblait jamais venir à Sherbrooke, et s’intéressait à peine au Record. Mais il pouvait parfois téléphoner au Record et imposer une décision importante. J’ai pas d’inside information, mais le congédiement du syndicaliste Steenland, la logique le dit, pouvait être un cas comme ça.
Un jour quelqu’un m’a dit: « Gustave Steenland? C’est lui, de l’autre côté de la rue, Malcolm ». J’ai pris mon courage, je l’ai abordé.
« M’sieur Steenland, je suis reporter au Record, j’aimerais vous parler… »
« Ah?.. Bien sûr! C’est monsieur..? »
« Je m’appelle Malcolm Reid. J’ai lu à Ottawa, avant d’arriver, que vous aviez l’intention de vous présenter pour le Nouveau Parti Démocratique aux prochaines élections fédérales. Peut-être que je pourrais vous aider? Je suis néo-démocrate moi aussi ».
« Malcolm, oui, tu pourrais m’aider avec la campagne électorale qu’on va avoir à faire. On n’a pas beaucoup de membres, mais je pense que ce parti peut avoir un impact ».
Timidement, une amitié débutait.
En politique québécoise, deux grands événements venaient d’avoir lieu:
1. Jean Lesage et ses libéraux étaient maintenant au pouvoir au Québec, ils faisaient réformes et déclarations qu’on appelait la Révolution tranquille. C’était eux, cette « révolution », mais c’était plus qu’eux. C’était toute l’ambiance de changement qu’il y avait autour de nous. Le NPD espérait agir dans le même sens Coast-to-Coast.
2. Et puis une grande surprise au fédéral. Un mouvement nommé « Crédit Social » venait d’élire des dizaines de députés au Québec. C’était un mouvement conservateur et chrétien, autrefois centré en Alberta! Et Sherbrooke avait voté Créditiste. Raynald Fréchette, un jeune avocat, avait capturé la ville pour le Crédit Social.
Une semaine plus tard, Gustave Steenland est venu me chercher en auto. « Malcolm, j’ai réservé l’auditorium d’une grande école secondaire moderne. On tient une assemblée ce soir pour présenter le parti et les mesures sociales qu’il veut réaliser ». On part pour cette école.
Mais la porte de cette école était verrouillée. Un concierge nous disait: « Réunion politique? Non, on a eu aucun avertissement de ça ».
Gustave: « Mais c’était promis, c’était arrangé avec la commission scolaire. Tiens, je vais appeler le commissaire qui avait autorisé notre meeting ».
Cet officier, homme affable dans la trentaine, est arrivé quinze minutes plus tard. « Toutes mes excuses M. Steenland, quelqu’un a oublié d’avertir le concierge. On va enlever la chaîne sur la porte, entrez ».
Il a ajouté: « Votre parti est peu connu ici, mais je le connais bien. J’ai travaillé dans le système scolaire francophone en Saskatchewan, j’ai rencontré T »C » Douglas, le premier ministre, c’est un excellent administrateur, excellent homme ».
Alors j’ai pu aider Gustave à tenir un discours sur le socialisme démocratique devant un tout petit public. Et on s’est quitté en disant: « L’élection fédérale est encore loin. On s’y mettra pour bâtir ce parti. Viens souper chez nous, Malcolm, je te présenterai ma femme! On parlera de tout ça! ».
« Ben, merci, Gustave ».
Je me suis dit: « À Vancouver, à Calgary, à Regina, à Toronto, cette discussion a lieu. Les néo-démocrates sortiront-ils leurs idées de la marginalité? Maybe. Un jeune prof vient d’être élu pour le NPD dans une élection partielle à Petersborough… »
La même question était maintenant posée, tout bas, à Sherbrooke, Québec.
Par un immigrant belge du nom de Gus Steenland.
Je voulais en savoir plus.
Retrouvez ici le soixante-quatorzième chapitre de Roosevelt Avenue.
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