Nous publions chaque mois un extrait de l’autobiographie de Malcolm Reid, écrivain résidant depuis de nombreuses années dans le Faubourg, et citoyen engagé. Il habite Québec depuis longtemps, mais pas depuis toujours. Ici, par tranches, il écrit le récit de son chemin vers… Chaque premier samedi du mois, nous vous proposons un chapitre de « Roosevelt Avenue ». 

Pourquoi ai-je appelé Sherbrooke « la ville de Gustave »? Ma rencontre avec Gustave Steenland est arrivée peu de temps après mon arrivée à Sherbrooke. Elle a été un rencontre importante pour moi, fondamentale même. Elle a lié les familles Reid et Steenland, chaleureusement, brièvement. Deux institutions nous reliaient.

One was the Sherbrooke Record.

Le journal pour lequel j’écrivais, et pour lequel Gustave avait été un des imprimeurs. Jusqu’à son départ après son action syndicale.

The other was the New Democratic Party.

Les Néo-démocrates avaient fondé et nommé leur parti une année et demi avant, en 1961. C’était tout frais. Les gens que la social-démocratie intéressait se demandaient: « Quel succès qu’il va avoir, ce nouveau parti? La scène politique canadienne se déplace-t-elle à gauche? ». Dans une élection partielle, Peterborough, Ontario, avait été élu un jeune instituteur néo-démocrate. Une surprise.

Moi, je découvrais un nouveau monde. J’avais lu sur la « Révolution tranquille »; à Sherbrooke, je la verrais autour de moi.

Un jour, Gus m’a invité: « J’ai quelque chose à te montrer, Malcolm ». Gus au volant de son auto, nous nous sommes dirigés vers la banlieue nord-est de la ville. Gus était plutôt silencieux.

Nous débarquâmes. Devant moi, un quartier pauvre, très pauvre. Il paraissait long d’un demi-mille. Il y avait des maisons de fortune, des cabanes, des huttes. Elles étaient faites de boîtes de carton, d’un peu de bois, des panneaux de métal.

Les gens se tenaient devant leurs demeures, pauvrement vêtus, désinvoltes. Ils réclamaient respect, on dirait, et Gus les abordait.

« Ça va? Pas trop froid ce soir? »

« Oui, oui, c’est pas pire. »

« L’hôtel de ville ne vous achâle pas? »

« Oh, ils inspectent! Mais le plus souvent, ils nous laissent tranquilles. »

Les enfants étaient autour. Nous regardant, Gus et moi. Il y avait quelques chiens, avec leurs familles. Gus n’en était pas à sa première visite ici, mais je l’ai vu chercher les bonnes choses à dire, de la sympathie, de la solidarité.

« De quoi avez-vous besoin? »

« On s’arrange ».

« La visite a duré quarante-cinq minutes, Gus me regardait un peu en échangeant avec les résidents. Moi, je ne trouvais rien à dire. J’étais conscient que j’étais un reporter… Mais pas un reporter en devoir. En devoir, j’aurais essayé de trouver des questions à poser, j’aurais surveillé ma grammaire française.

Dans l’auto – voyage de retour – Gus me questionnait.

« Qu’est-ce que tu penses de cela, Malcolm? »

« Gustave… je n’imaginais pas qu’il y avait une section comme ça à Sherbrooke. Y en a-t-il dans toutes les villes canadiennes? Penses-tu? »

Dans les jours qui ont suivi, Gus et moi essayions de saisir les idées politiques l’un de l’autre. Nous bâtissions notre amitié. Nous disions, un peu, ce que nous attendions du Nouveau Parti Démocratique.

Gus m’invitait chez lui, me présentait à son épouse, une jolie femme qui semblait plus jeune que lui. Ils ne parlaient pas d’enfants. N’en avaient-ils pas? Ou pas encore? Elisabeth Steenland – je l’appellerai ainsi – semblait être belge aussi, son accent me le disait. Elle était très dévouée à Gustave, et à ses causes.

Même si j’étais un adulte lancé sur mon chemin de vie, ils jouaient un peu un rôle parental avec moi, paternel, maternel.

Gustave voulait surtout me communiquer l’essence de son socialisme. Il était un socialiste chrétien, très marqué, j’ai compris, par la « Jeunesse Ouvrière Catholique » de son adolescence – un mouvement bien connu au Québec, mais fondé par un prêtre activiste en Belgique.

Il était fier de dire que le peuple belge était enraciné dans la terre. « Un paysan chez nous va prendre une poignée de terre – » (geste de frottement de mains…) « – et il va dire: Ahhh! La terre! ».

Plus tard: « Je suis contre les communistes. Et nous avons eu des communistes ici à Sherbrooke, dans les syndicats du textile ».

Moi ma vision était animée par une plus large notion de la gauche canadienne, où communistes et CCFistes étaient, disons, des cousins éloignés les uns des autres.

Me sentir une « jeunesse » en présence de ces camarades néo-démocrates qui m’étaient sympathiques, mais pas comme des parents…

Ah! Je ne trouvais pas les mots. Quelques larmes me sont venus.

Et Madame Steenland est venue un instant m’entourer de ses bras.

Retrouvez ici le soixante-quinzième chapitre de Roosevelt Avenue.