Un arrière-goût de compost, première pièce de l’auteure Anne-Virginie Bérubé ouvre la saison 2024-2025 du Premier Acte. Au menu: disparition, colère, et fragilité des relations intrafamiliales.
Tout se passe dans un jardin communautaire, un jour d’anniversaire. Éléonore attend son frère, Christophe, qui disparaît ce jour-là sans laisser de trace. Sans aucun signe avant-coureur. Une disparition qui ne donnera pas lieu à des recherches très poussées, l’homme étant majeur, donc considéré comme adulte et responsable. Même le chat, Boulette, a fini par partir sans prévenir.
Et pendant les cinq années qui suivent, Éléonore et sa mère font comme elles peuvent, chacune vivant un deuil à sa façon, un deuil sans mort, abstrait, rempli de questionnements. Chaque année, Éléonore fête l’anniversaire de son frère au jardin communautaire, en souhaitant à son frère des “bonne fête pis va chier” et des “j’te souhaite ben du bonheur pis des flats à vélo”. Leur mère, elle, s’est enfermée dans le mutisme et a continué à vivre comme un fantôme dans sa maison.
Et puis un jour, “par hasard”, Christophe est là. Dans le jardin communautaire, où il enterre “quelque chose”. L’étrange huis clos entre le frère et la sœur s’annonce déstabilisant: ni heureuses ni ouvertement franches, les retrouvailles sont presque aussi perturbantes que la disparition, dans ce jardin communautaire si pratique pour enterrer et déterrer les secrets de famille. D’ailleurs, il faut saluer ici le travail de mise en scène de Nathalie Seguin, qui nous dépose dans un espace très modeste, au milieu des bacs de jardinage et des clôtures un peu scrap, les pieds dans le paillis, avec une shed qui tombe en ruine.
On peut s’y attendre, la rencontre va être intense. Pleine de colère. Pleine de non-dits. De malaises. D’amertumes. De silences. D’absurde un peu aussi, avec un beau moment d’échange sur la chanson Les eaux de mars). Le texte d’Anne-Virginie Bérubé travaille beaucoup par ellipses, comme pour mieux refléter l’incapacité des deux personnages à exprimer le fond des choses. La pièce est aussi drôle et touchante et les deux acteurs, Béatrice Casgrain-Rodriguez et Antoine Gagnon offrent une belle prestation, dans les silences et les moments de malaise surtout.
Un arrière-goût de compost est aussi une histoire de retrouvailles. Chaotiques. Maladroites. Une sorte d’agriculture sur brûlis des sentiments entre frère et sœur. Des retrouvailles compliquées par un rebondissement, qu’on vous laissera apprécier, qui rend encore plus incompréhensible l’éloignement volontaire de Christophe… mais qui explique très bien la colère d’Éléonore, qui a l’impression dans cette histoire qu’on l’a prise pour la dernière des imbéciles.
La pièce aurait sans doute mérité qu’on donne un peu plus de place à la santé mentale et aux troubles alimentaires, tel qu’annoncé dans la présentation. Cela ne prend pas assez d’importance, arrive un peu tard et pourrait être traité un peu plus en profondeur. Mais lorsque l’on y arrive, on parle en l’occurrence d’hyperphagie boulimique, c’est fait avec beaucoup de sensibilité et d’empathie. Le spectacle a d’ailleurs bénéficié de l’apport d’une intervenante de la Maison l’Éclaircie, pour représenter la réalité des personnes vivant avec des troubles alimentaires. On y aborde de manière accessible l’isolement, la culpabilité et la honte écrasante que vivent les personnes malades, même si c’est trop bref. * Organisme de Québec venant en aide aux personnes qui souffrent de troubles alimentaires et à leurs proches. Ainsi, la pièce, d’une durée d’une heure, gagnerait sans doute beaucoup à creuser un peu plus cet aspect très intéressant.
Un arrière-goût de compost est une pièce sensible, tissée de la colère qui a rongé Éléonore pendant toute ces années et des silences empêchés de Christophe, qui laissent la question d’une hypothétique réconciliation complètement ouverte.
Informations complémentaires
- Billets et autres informations
- Production: Théâtre du Refuge
- Texte: Anne-Virginie Bérubé
- Mise en scène: Nathalie Séguin
- Interprétation: Béatrice Casgrain-Rodriguez et Antoine Gagnon
- Jusqu’au 19 octobre au Premier Acte.
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