Scatologique, écologique, déjantée: la pièce Le jour où tout a merdé ouvre la 35e année du Théâtre Sortie de Secours, au Périscope, et est la pièce à voir en ces temps d’automne qui achève. Intensément drôle, profondément bien écrite et délicieusement bien jouée, elle invite à réfléchir sur nos démissions individuelles et collectives face à l’urgence climatique.

Le jour où tout a merdé est une tragi-comédie climatique aussi hilarante que décapante. La pièce s’ouvre sur une conférence délicieusement ambiguë, bourrée de sophismes, de raisonnements apparemment rigoureux mais dans les faits complètement délirants, où l’on définit les personnes soucieuses du climat comme des êtres violents, qui rendent les enfants anxieux et dépressifs parce qu’on leur retire leur petit jus parce qu’il y a une paille en plastique qui vient avec, un fascinant moment de logique fallacieuse. On le comprend rapidement: le public assiste à une conférence climatosceptique, où Greta Thunberg est aimablement traitée de climatofasciste, parce que l’on n’est jamais loin d’un point Godwin quand on argumente avec les personnes qui nient les changements climatiques.

En parallèle se joue l’autre histoire, celle qui donne son nom à la pièce. Mais pas avant qu’une crevette passe sur scène et que l’on comprenne que tout va basculer dans l’absurde. Le jour où tout a merdé raconte ainsi la “véritable et rocambolesque mésaventure” vécue par le Théâtre Sortie de Secours, en temps de pandémie. Une aventure qui présentée ainsi convoque immédiatement l’esprit de Rabelais et qui annonce que le reste de la pièce va être à la hauteur de nos attentes.

Le drame surgit lorsque la compagnie Théâtre Sortie de Secours, qui avait entrepris – avec l’auteur catalan Joan Yago – d’écrire un spectacle sur le négationnisme climatique, et dont les membres étaient heureux d’avoir enfin pu se trouver un local de répétition abordable, fait face à un problème de toilettes. Qui, non contentes de se boucher à la première utilisation, débordent littéralement dans le studio. Et c’est un océan d’excréments bloqués là depuis la construction de l’immeuble (qui n’a pas de drain) qui inonde le local de répétition, ce qui donne lieu à un grand moment de blagues aussi intelligentes que scatologiques qui fera hurler de rire le public.

Les deux histoires vont alterner, et travailler en miroir, grâce à un travail d’écriture tout à fait remarquable, qui alterne le sérieux et le comique, l’absurde et le logique. Et à l’image des fondations de l’immeuble qui s’enfoncent littéralement dans ce tas de marde, au risque de faire s’écrouler l’édifice, les différents moments de la conférence climato-sceptique s’enchaînent, plombant un peu plus l’avenir de l’humanité. Il y a dans l’écriture de la pièce quelque chose de Rabelaisien; on y trouve ainsi plusieurs procédés de l’auteur de Gargantua et Pantagruel, qui allèguent en permanence la véracité du récit et permettent de mettre en exergue la question de la croyance, de la responsabilité individuelle face aux aveuglements collectifs. Le tout s’incarne d’ailleurs à la perfection dans une fabuleuse réunion de copropriétaires qui fait bien comme la COP 25, et qui priorise des réparations superficielles au lieu de s’attaquer aux problèmes en profondeur.

Transformer un drame (deux, en l’occurrence) en comédie n’est pas un mince défi, que la compagnie relève avec brio. Aborder par l’humour et l’absurde la mentalité du “après-moi le déluge” offre une occasion inestimable de rire intelligemment et de réfléchir en même temps. On peut vous garantir que les deux heures que dure la pièce passent comme un tourbillon. On se doit de relever la performance spectaculaire des cinq comédien‧ne‧s et leur palette d’expression presque infinie qui leur permet d’incarner plus de 25 personnages sans presque changer de costume. Éva Daigle, Savina Figueras, Paul Fruteau de Laclos, Érika Gagnon et Nicolas Létourneau ont tellement d’énergie, d’intensité, de plaisir à jouer sur scène, que c’en est jubilatoire.

A voir absolument au Périscope jusqu’au 9 novembre.

Informations complémentaires

  • Billets et renseignements complémentaires
  • Texte Joan Yago
  • Traduction & mise en scène Philippe Soldevila
  • Assistance à la mise en scène Frédérique Fecteau-Simard
  • Interprétation Éva Daigle ; Savina Figueras ; Paul Fruteau de Laclos ; Érika Gagnon & Nicolas Létourneau
  • Conception décors Christian Fontaine
  • Costumes Erica Schmitz
  • Conception lumières & vidéo Keven Dubois
  • Conception sonore, musique et direction technique François Leclerc
  • Direction de production Diane Bastin
  • Direction technique François Leclerc
  • Réalisation des tournages Étienne d’Anjou