Disgrâce a pour point de départ l’assignation à domicile d’un homme charismatique, star médiatique suite à une série de plaintes pour agressions sexuelles à son encontre. Une pièce aux résonances contemporaines dans une époque qui cherche encore à savoir comment réagir face aux mouvements #MeToo.
La pièce s’ouvre par une plongée au cœur du brouhaha suscité par les dénonciations publiques de ces agressions, happés par une machine médiatique qui se nourrit de scandales. La pièce commence juste après les accusations qui ont visé Thomas, avec son arrivée dans la maison familiale où il devra rester jusqu’au procès. Une arrivée qui plante le décor: l’homme ici accusé est apparemment si fragile qu’il faut le manipuler avec soin, si atteint dans son être qu’il se présente à nu devant celle qui a payé sa caution et qui l’accueille chez elle.
La mère accueille son fils comme on célèbre le retour du fils prodigue, persuadée de son innocence et de la jalousie de ses accusatrices, comme s’il revenait simplement chez elle, le temps de passer au travers d’une mauvaise passe. Sacralisant son fils, ses vertus et réussites professionnelles, elle ne saisit pas les enjeux qui se trament. C’est pourtant dans l’intimité de sa maison que l’on va décomposer la mécanique de la défense de cet homme. Ou devrait-on parler de manipulation?
Car Disgrâce construit sa trame narrative sur les clichés dont usent et abusent les personnes accusées d’agressions sexuelles, qui savent parfaitement jouer avec les limites du consentement. Thomas est un homme arrogant, tempétueux, sûr de lui, un personnage qui s’applique minutieusement à faire disparaître petit à petit les quelques onces d’empathie que l’on aurait pu avoir envers lui, à force de victimisation et d’apitoiement sur soi. On se doit de saluer ici l’impressionnante performance de Gabriel Fournier, qui excelle à incarner un personnage profondément antipathique, violent, cru, et dont l’interprétation parvient à remuer les tripes du spectateur.
Disgrâce fait le choix audacieux, voire téméraire, de ne présenter que le point de vue du présumé agresseur et la (re)construction d’une histoire où la voix des victimes ne sert qu’à nourrir sa défense. La pièce dissèque chirurgicalement et sans anesthésie la mécanique froide qui organise la défense de Thomas. Une mécanique qui s’incarne dans le personnage de l’avocate, interprétée par une parfaite Frédérique Bradet, aussi froide que cérébrale, et dont le professionnalisme n’a d’égal que le cynisme. Son personnage amène des réflexions extrêmement intéressantes, qu’il aurait été intéressant d’exploiter un peu plus, notamment lorsqu’elle formule l’idée que parce que l’on a du pouvoir, on est une victime, argument servi ad nauseam et sous diverses formes celles et ceux qui pensent qu’on ne peut plus séduire une femme ou qu’on ne peut plus rien dire…
Le personnage de la mère, si justement et sobrement interprété par Marie-Ginette Guay, est tout aussi intéressant, et aurait sans doute mérité qu’on s’y attarde un peu plus. Elle est celle qui se fissure, qui se brise, qui s’effondre au contact de cet homme qui ne correspond plus à l’image du fils tant aimé. Figure de la maternité sacrificielle qui réalise avec horreur ce qu’est son fils et comment il traite les femmes, elle est celle qui se mure progressivement dans le silence, alors que son fils retrouve la parole et se prépare à affronter l’arène médiatique et judiciaire.
On appréciera particulièrement la mise en scène de Gabriel Cloutier Tremblay, au centre de l’espace. Le public, installé de chaque côté, ne peut faire autrement qu’être directement confronté à ce qui se passe. Disgrâce fait également une très belle utilisation des silences et des lenteurs, jusque dans les distorsions de musiques, qui en deviennent angoissantes.
Disgrâce est une pièce qui ne vise pas l’édification du public. On décompose une mécanique qui permet de tout broyer sur son passage, sans excuse, sans justification, sans nuances. On ne cherche pas à faire valoir une quelconque responsabilité morale, et le texte, qui banalise le point de vue de l’agresseur, dégage une impression sinistre, tant elle peut apparaître réaliste.
L’autrice, Nadia Girard Eddaiah, indique avoir voulu écrire “un conte d’horreur qui nous dit comment à ne pas vouloir voir, on se fait dévorer; à ne pas vouloir reconnaître, on continue de se l’imposer”. C’est réussi, et l’ambiance poisseuse distillée par la pièce est digne d’un excellent thriller.
Informations complémentaires
- Du 19 avril 2022 au 7 mai 2022
- Achat de billets
- Production: La Trâlée
- Texte et assistance à la mise en scène: Nadia Girard Eddahia
- Mise en scène et scénographie: Gabriel Cloutier Tremblay
- Distribution: Frédérique Bradet, Gabriel Fournier, Marie-Ginette Guay
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