La Fin de la Fiction, à l’affiche au Périscope jusqu’au 9 avril, nous offre une belle et luxuriante réflexion sur les mécanismes historiques qui ont mené à la transformation de notre façon de dire le monde qui nous entoure et la disparition de notre capacité à créer des récits qui nous unissent collectivement. 

Tout commence il y a bien longtemps, au fond d’une grotte éclairée par un feu. Là où les êtres humains firent naître des mythes et des histoires qui leur permirent de mettre les mêmes mots et les mêmes idées sur ce qu’ils observaient. Là où des communautés se fédérèrent autour d’une conception commune du monde qui les entoure. Là où la connaissance se transmet de manière orale. Et aussi diversifiée que difficile d’accès, tant qu’elle est fixée sur de rares manuscrits et parchemins divers. Jusqu’à l’invention de l’imprimerie au XVe siècle.

La pièce offre au public un survol historique des mécanismes qui mènent à la transformation puis la disparition de la fiction en tant que générateur de lien social et de notre capacité collective à faire sens en commun et à adhérer à une même histoire. La fin de la fiction nous entraîne dans un voyage historique drôle et passionnant du Moyen-âge à l’invasion de l’Ukraine, enchaînant à un rythme effréné les saynètes aussi hilarantes qu’intelligentes, où la réalité coexiste avec l’humour absurde et les références à la culture pop nord-américaine. Et si l’on rit énormément, tout est organisé d’une façon claire et pédagogique, notamment grâce à des fils conducteurs contemporains. On rit autant que l’on apprend grâce aux gigantesques et savoureux anachronismes qui parsèment la pièce.

On remonte ainsi au temps de Gutenberg avec l’historienne américaine Elizabeth Eisenstein et l’on découvre comment l’imprimerie, en fixant les histoires et une façon de les dire, transforme la conceptualisation du monde, standardise l’information et contribue à sa diffusion massive, organisant le monde à une échelle encore jamais vue. On découvre également, au détour d’un sketch d’anthologie sur Luther et ses 95 thèses, comment l’imprimerie a permis de répandre avec efficacité d’autres discours sur le monde. Il serait difficile d’évoquer la multitude d’anecdotes historiques mises à contribution par La Fin de la Fiction tant la pièce est riche. De P.T. Barnum – le prince des charlatans – à la contre culture des hippies et la naissance de la Silicon Valley en passant par Buffalo Bill et la disneyification du monde, jusqu’aux algorithmes qui organisent et définissent actuellement notre monde.

Ne laissez jamais la vérité gâcher une bonne histoire

Mark Twain

Survoler 800 ans d’histoire en moins de trois heures est un tour de force d’érudition, que les auteurs parviennent à rendre accessible au public, au prix de plusieurs années de recherche et de préparation. Que l’on possède une bonne culture générale ou que l’on découvre un millier de choses, on prend beaucoup de plaisir à assister à la Fin de la fiction tout en s’interrogeant sur notre rapport à la fiction et à la réalité. La pièce nous raconte aussi la fin des communautés humaines et l’aboutissement d’un processus d’individualisation, nous situant à un moment de l’histoire où si les entreprises nous offrent des univers de fiction taillés sur mesure, elles le font pour une version fictive, extrêmement simplifiée de nous-mêmes, et dans le but d’en retirer des bénéfices financiers et sous couvert d’une “grandiose illusion du choix”.

Si la pièce interroge sur la fin de la fiction, elle pose tout autant la question du réel en démontant intelligemment les rouages complexes de la pensée humaine, grégaire, et qui a besoin de se raconter des histoires pour survivre au monde tel qu’il est. Des histoires qui peuvent unir et réunir, mais également alimenter des discours complotistes et séparatistes par leur trame narrative simplifiée.

La fin de la fiction se conclut sur un moment très calme et doux qui interroge la disparition de l’intimité et de la potentielle découverte de soi, de l’autre et du monde, et plus globalement la disparition de la notion de sanctuaire dans un environnement désormais organisé par des algorithmes capable de prédire nos comportements, voire de les conditionner…

Informations complémentaires

  • Billets et informations
  • Coproduction de Nuages en pantalon – compagnie de création et Théâtre Catapulte
  • Direction artistique : Jean-Philippe Joubert et Danielle Le Saux-Farmer
  • Texte et scénario : Carolanne Foucher, Jean-Philippe Joubert, Marie-Hélène Lalande,
    Danielle Le Saux-Farmer et Olivier Normand avec la collaboration au scénario de John Doucet et de Claudia Gendreau
  • Mise se en scène et direction de la création : Jean-Philippe Joubert avec la collaboration de Marie-Hélène Lalande et de Caroline Martin
  • Interprétation : John Doucet, Carolanne Foucher, Marie-Hélène Lalande, Olivier Normand et Sarah Villeneuve-Desjardins
  • Conception de l’espace scénique, des costumes et des accessoires : Claudia Gendreau
  • Recherche visuelle : John Doucet