La Délivrance, présentée au Premier Acte jusqu’au 9 décembre, nous permet de renouer avec le plus grand des plaisirs la plume de Rosalie Cournoyer, qui excelle à parler d’enjeux sociaux (comme ici la maternité et le poids de la famille), par la voix de personnages aussi attachants qu’imparfaits, qui cherchent leur place et comment se définir dans le monde.

Lorsque Jeanne arrive dans sa famille “pour les fêtes”… un 4 janvier, le moins qu’on puisse dire, c’est que les retrouvailles manquent de chaleur. Car dans cette ferme laitière au bout du bout du bout du rang, que Jeanne a fui dès qu’elle a pu, les femmes qui l’accueillent découvrent avec surprise qu’elle est très enceinte, et avec un peu moins de surprise qu’elle les méprise toujours autant. Car Jeanne arrive en portant son ventre rond comme on affiche sa réussite professionnelle, un enfant qu’elle a fait seule, simplement parce qu’elle en avait envie, parce qu’elle l’avait décidé, sans impliquer qui que ce soit.

Nous sommes le 4 janvier 1998. Et avant que Jeanne ne puisse repartir (ou s’enfuir…), le verglas s’abat sur la ferme, emprisonnant Jeanne et la petite fille qui grandit en elle, ainsi que toute sa famille. Une catastrophe n’arrivant jamais seule, les contractions de Jeanne se rapprochent et elle doit se rendre à l’évidence: elle qui a toujours voulu tenir sa famille, sa mère, sa tante, sa grand-mère et sa soeur loin d’elle, se retrouve à accoucher dans des circonstances apocalyptiques.

C’est ainsi qu’à la crise extérieure fait écho la crise intérieure et que les relations sont aussi chaleureuses que le verglas qui s’abat sur la ferme. Les non-dits et les vérités éclatent au sol comme les poteaux d’hydro s’écrasent sous le poids du verglas. Le ventre de Jeanne qui se déchire achève de rompre le peu de liens qu’elle avait encore avec sa famille, pourtant soudée pour l’aider à enfanter.

On est littéralement absorbé par ce huis clos familial, où le talent de narration de Rosalie Cournoyer prend le temps de se diffuser dans des dialogues ciselés et une langue populaire (au sens le plus noble et poétique du terme), au service de personnages attachants et plein de failles. La Délivrance fait défiler sous nos yeux un concentré de chronique familiale, où les vies s’entrechoquent, ou le désir et le non-désir d’enfants, le legs intergénérationnel et les responsabilités qui viennent avec la famille définissent les actions de chacune. On rit, on pleure, on s’haït, on s’aime sans savoir se le dire.

Pour écrire La Délivrance, Rosalie Cournoyer s’est replongée dans ses souvenirs d’enfance en Montérégie, où le temps des fêtes vibre d’une “énergie, cacophonique, enivrante, ludique, épuisante”. C’est particulièrement réussi. Le tourbillon de sentiments, de frustrations, de colères, de détresse est terriblement bien rendu. Impossible par ailleurs de ne pas souligner l’éblouissante distribution de La Délivrance. Les acteur‧ice‧s d’expérience campent avec justesse et simplicité des personnages complexes, infiniment nuancés. La rencontre entre le texte riche et dense de l’auteure et l’interprétation lumineuse de Vincent Champoux, Lorraine Côté, Carmen Ferlan, Gabrielle Ferron, Raymonde Gagnier, Noémie F. Savoie et Thomas Royer est fructueuse. On ne saurait trop vous encourager à entrer dans l’hiver en allant voir La Délivrance d’ici au 9 décembre.

Informations complémentaires

  • Représentations jusqu’au 9 décembre.
  • Texte et mise en scène: Rosalie Cournoyer
  • Interprètes: Vincent Champoux, Lorraine Côté, Carmen Ferlan, Gabrielle Ferron, Raymonde Gagnier, Noémie F. Savoie (Marielle), Thomas Royer (Robert)
  • Production: Vénus à vélo