Quel rapport entretient-on au désir d’enfant et à la maternité, dès lors qu’ils sont désormais vécus comme un choix et que tout échec en la matière devient une faillite individuelle que l’on ne peut partager? C’est la douloureuse question intime que pose très délicatement la riche, intense et savoureuse pièce Baby Shower, au Premier Acte jusqu’au 20 avril 2024.

Anne-Marie a réussi tout ce qu’elle a entrepris. Un conjoint stable, une carrière, une maison à Charlesbourg. Une seule chose manque à son bonheur : un enfant. Les fausses couches se sont succédées et Anne-Marie a beau avoir tenté de rationaliser, de saisir toutes les données possibles et imaginables, de calculer ses périodes et d’aller en clinique de fertilité, rien n’y a fait. Quand Jade, la sœur d’Anne-Marie, tombe enceinte par accident, c’est Anne-Marie qui organise sa baby shower surprise. Point d’orgue de la maternité sociale, cette fête finit par cristalliser toutes les frustrations des femmes qui y participent, entre maternité parfaite aux accents grano et naturels, questionnements, accouchements traumatiques, post-partum mal digérés et jugements sur ce que doit être la maternité. Personne n’a vraiment envie d’être là, même pas Jade qui soudainement a décidé de se séparer du père de son enfant. Encore moins l’organisatrice du shower, qui est en train d’expulser douloureusement sa troisième fausse couche.

Baby Shower aborde de manière très frontale la question du deuil périnatal et de ce que la maternité signifie quand tout nous rappelle qu’il s’agit désormais d’un choix et que l’on doit performer ce processus pour atteindre la perfection. Avec tout le jugement qui peut aller avec cette injonction intime et sociale à la réussite, de la part de celles qui sont devenues mères, de celles qui refusent de l’être ou de celles qui se questionnent encore. Un jugement qui émane de la société et de son propre cercle d’amies; la pièce nous confronte au fait que la sororité à laquelle on se raccroche dans certains moments peut renforcer l’isolement.

Le sujet du deuil périnatal aurait pu être traité avec lourdeur et pathos. C’est tout le contraire qui se produit. Non seulement l’écriture très fine de Catherine Côté recèle de légèretés et de clins d’oeil bourrés d’humour qui font rire aux éclats, mais les moments de tragédie intime, qui inévitablement brouillent la vue de quelques larmes, sont amenés en douceur, délicatement et sans faux-semblants. On apprécie tout particulièrement les moments de comédie très ancrés dans la Ville de Québec de 2024, tout comme la construction nuancée des personnages aux réalités complexes. Souvent drôle, parfois cynique, Baby Shower met délicatement et habilement en lumière le silence et la difficulté de faire son deuil face à la perte d’un embryon à qui l’on avait imaginé une vie et autour duquel on avait déjà construit sa vie.

Les cinq comédiennes qui portent Baby Shower sont épatantes. Les rôles de maternités contrariées semblent échoir à Gabrielle Ferron, qui interprète Anne-Marie d’une manière admirablement retenue, même lorsque la digue des émotions finit par céder. On a pu la voir interpréter un autre type de mère dans La Délivrance au Premier Acte en 2023, où l’enfant était également un signe de réussite mais l’attachement manquait. On retrouve aussi Noémie F. Savoie, croisée également dans la Délivrance, dans un personnage savoureux de mère de famille nombreuse, grano-puriste et doula fraîchement diplômée prête à offrir ses conseils à qui veut l’entendre. Ou ne veut pas l’entendre. Odile Gagné-Roy apporte sa fraîcheur et son impétuosité pour camper une Jade qui cherche encore quoi faire de sa maternité. Myriam Lenfesty et Lucie M. Constantineau complètent ce quintet de femmes qui rêvent d’épanouissement, sont confrontées aux sacrifices qu’imposent la maternité et qui se raccommodent une sororité défaillante.

Informations complémentaires

  • De 2 au 20 avril 2024 au Premier Acte
  • Billets et autres informations
  • Texte et mise en scène: Catherine Côté
  • Interprétation: Gabrielle Ferron, Myriam Lenfesty, Odile Gagné-Roy, Lucie M. Constantineau, Noémie F. Savoie
  • Production: Mon Père est Mort.