Réussir à présenter de manière accessible et contemporaine une œuvre aussi fameuse et dense que l’Odyssée, en moins de deux heures, n’est pas un mince exploit. C’est pourtant ce que les finissants du Conservatoire réussissent à faire, pour le plus grand plaisir des spectateurs.
L’Odyssée raconte l’histoire d’Ulysse (Odysseus), héros reconnu pour son intelligence et sa ruse, vainqueur de la Guerre de Troie et dont le voyage de retour se transforme en périple de dix ans, une errance aussi longue que la guerre. Avec pour seul objectif de revenir sur ses terres d’Ithaque, auprès de son épouse Pénélope et de son fils Télémaque, Ulysse doit affronter mille et une épreuves: du cyclope aveuglé Polyphème, fils de Poséidon qui maudit et condamne Ulysse à l’errance, aux sirènes, en passant par l’île d’Éole, Charybde et Scylla, le royaume de Circé, et la captivité sept ans durant par l’immortelle Calypso. Relâché par Calypso sur intercession des Dieux, il atteint l’île des Phéaciens, où il raconte son histoire au roi Alcinoos et sa fille Nausicaa, avant de pouvoir enfin rentrer à Ithaque. Pendant ce temps-là, Pénélope est assiégée de soupirants, tisse et détisse son ouvrage pour gagner du temps et Télémaque, encouragé par la déesse Athéna, part à la recherche de son père…
Muse, ô muse…
L’histoire est connue. Mais ce qu’en font les finissants du Conservatoire, sur un texte de Dominic Champagne et Alexis Martin, est tout à fait enthousiasmant, tout en étant respectueux du texte original. En particulier, la langue employée, très influencée par le texte d’Homère (dans une traduction classique), nous rappelle qu’actualiser les mythes qui structurent l’imaginaire occidental n’a pas besoin de se faire par un appauvrissement de la langue et qu’il est même possible d’y introduire des moments d’humour savoureux. La facilité apparente avec laquelle la troupe s’est appropriée ce texte, riche, complexe, fait honneur aux nombreux textes classiques du répertoire et donne envie de se (re)plonger dans le texte original.
On saluera également la scénographie intelligente et polyvalente, qui nous fait passer d’une mer agitée engloutissant les compagnons d’Ulysse aux enfers où errent les âmes en peine, des paysages hédoniques et divins au palais d’Ithaque et son univers de bar-karaoke. L’idée – singulière mais astucieuse – de saupoudrer cette Odyssée de karaoké fonctionne très bien, et donne lieu à plusieurs moments saisissants ou flamboyants. Un heureux choix musical permet d’illustrer parfaitement plusieurs épisodes: on pense ainsi aux tourments de Pénélope face à ses prétendants avec la Boxeuse amoureuse d’Arthur H., les séductions de Circé avec I put a spell on you de « Screamin’ Jay » Hawkins ou encore les retrouvailles entre Ulysse et Télémaque au son de Kid d’Eddy de Pretto. Le tout dans une ambiance et des décors disco-queer, où les costumes – fabuleux – dosent savamment les éléments classiques et la culture pop.
Pendant près de deux heures qui passent bien trop vite, l’énergie contagieuse de la relève théâtrale de Québec (que l’on avait déjà pu voir à l’œuvre dans Bon réveil, Hamelin!) arrive à nous faire voyager à vive allure au travers des 24 chants qui composent l’Odyssée et nous montre que l’œuvre est tout autant un récit de voyage extraordinaire, au temps où les dieux influençaient le destin des hommes que la chronique d’un retour à l’ordinaire et à la simplicité… Une histoire qui nous rappelle que l’on court le monde pour se trouver soi et que l’Odyssée nous permet de repenser le concept de héros…
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !Joachim du Bellay
Avec l’Odyssée, les finissant‧e‧s passaient pour la dernière fois sur la scène du Conservatoire et finissent leur formation en beauté. Cette adaptation maline, enlevante, fait le pari de l’intelligence du spectateur et s’appuie sur une distribution dont la qualité laisse entrevoir de beaux jours pour la scène théâtrale de Québec.
Informations complémentaires
- Texte de Dominic Champagne et Alexis Martin
- Mise en scène de Maxime Perron
- Avec les finissant‧e‧s en Jeu et en Scénographie: Elfée Beauchesne, Philippe Bernier-Moisan, Béatrice Casgrain-Rodriguez, Mathieu Desroches, Flavie Dornier, Jacob Falcao, Leilia Gagné, Melissa Iguer, Astrid Miranda La Roche-Francoeur, Jeane Latreille, Pierre Maestracci, Jeanne Murdock, Charlotte Poirier et Luka Provost.
- En représentation du 7 au 11 mai à 19 h 30, au Théâtre du Conservatoire (13, rue Saint-Stanislas, Québec)
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