Le développement du quartier Saint-Jean-Baptiste au XIXe siècle, axé principalement sur les fonctions résidentielles, commerciales et institutionnelles, s’est réalisé au détriment de l’industrie, concentrée en basse-ville. Pourtant, à l’angle des rues Sainte-Claire et Richelieu, s’élève un rare ensemble d’origine industrielle, qui a appartenu à l’entreprise fondée en 1841 par Barthélemi Houde. Voyons comment le site de cette ancienne manufacture de tabac a évolué depuis le milieu du XIXe siècle.

C’est à la suite de l’incendie du faubourg en 1845 que Barthélemi Houde décide de relocaliser sa tabagie à l’angle des rues Sainte-Claire et Richelieu. L’entreprise se spécialise alors dans la vente de produits du tabac, y compris ceux préparés de façon artisanale par Houde. C’est peut-être François-Xavier Dussault, le gendre et associé de Houde, qui convainc ce dernier d’accroitre la production de tabac. Un plan de 1875 apparaissant ci-dessous montre qu’une nouvelle manufacture occupe la partie ouest du lot acquis en 1845 par Houde.

Plan représentant l’aménagement du lot appartenant à B. Houde et Cie en 1875 à l’angle des rues Sainte-Claire et Richelieu. Ce lot est situé en haute à droite et compte deux bâtiments de brique (en rouge): la tabagie (Gro.), à droite, et la nouvelle manufacture, à gauche. Ceux-ci sont entourés de bâtiments en bois (en jaune) dont un entrepôt (W.Ho). (Insurance plans of the city of Quebec, Canada, Charles Edward.Goad, 1875, BAnQ, Collection Plans de villes et villages du Québec, cote inconnue)

Deux événements secouent l’entreprise au début des années 1880 : en 1881, les bâtiments sont endommagés lors de l’incendie du faubourg et, l’année suivante, Barthélemi Houde se retire des affaires. Seul maître à bord, Dussault fait édifier un nouvel édifice à l’emplacement de la tabagie, de l’ancienne manufacture et d’un lot voisin nouvellement acquis. Ce bâtiment construit dans l’esprit du style Second Empire est consacré exclusivement aux activités de production industrielle. La tabagie ouverte en 1868 sur la rue Saint-Jean[1] devient alors l’unique point de vente des produits de l’entreprise, qui conserve toujours le nom de son fondateur. Dussault et ses héritiers agrandissement ultérieurement la manufacture. Tour à tour, ils prennent possession du 770, rue Sainte-Claire vers 1890[2] et du 461, rue Richelieu en 1903 et en 1914[3]. Ils font également construire un entrepôt de l’autre côté de la rue Richelieu en 1913. La fabrique s’avère alors l’un des principaux gagne-pain du quartier.

Représentation de la manufacture de tabac B. Houde et Cie vers 1900. On remarque les dimensions exagérées du bâtiment et des rues Sainte-Claire et Richelieu. Manifestement, cette œuvre était moins destinée à informer qu’à impressionner. La tourelle en façade sera retirée ultérieurement. (B. Houde and Co. The Largest Cut Tobacco and Snuff Manufacturers in Canada ca 1900, AVQ, Collection iconographique de la Ville de Québec, VM 13-01-03-03)

Détail d’un plan montrant l’étendue de la manufacture de l’entreprise B. Houde et Cie en 1910. On remarque la manufacture construite à partir de 1882 et les ajouts ultérieurs situés en bordure des rues Sainte-Claire et Richelieu. (Insurance plan of the city of Quebec, Canada, Charles Edward Goad, 1910, BAnQ, Collection Plans de villes et villages du Québec, cote inconnue)

En 1903, l’entreprise est cédée à la filiale canadienne de l’American Tobacco Company[4], mais poursuit ses activités dans Saint-Jean-Baptiste; ce n’est qu’en 1956 qu’elles sont transférées dans une nouvelle usine située dans le parc industriel Saint-Malo. Dans la foulée de cette fermeture, l’ancien ensemble manufacturier est morcelé. Les bâtiments achetés en 1903 et 1914 sont vendus au gouvernement du Québec; de nos jours, ils logent les ateliers du Conservatoire d’art dramatique de Québec. Le 770, rue Sainte-Claire est initialement converti pour un usage mixte puis, éventuellement, pour un usage strictement résidentiel. Enfin, l’édifice de brique rouge est acquis par Louis Fréchette qui le transforme en espace à bureaux. C’est en 1977 qu’il adopte sa vocation résidentielle actuelle.

Photographie montrant la manufacture en 1943, soit peu après la fusion des entreprises B. Houde et Cie et L. O Grothé, deux filiales de l’Imperial Tobacco Company of Canada (voir note no 4). Signalons la présence d’une structure reliant la manufacture à l’entrepôt situé de l’autre côté de la rue Richelieu (no 480). (B. Houde and Grathe office, William B. Edwards, 1943, BAC, fonds inconnu, PA-080916)

Comme le montre cette photographie, l’entreprise demeure un employeur important dans le quartier en 1943. (Group of employees at La Compagnie B. Houde, Richelieu Street, Quebec City, William B. Edwards, 1940, BAC, fonds inconnu, PA-080627)

Détail d’un plan représentant les bâtiments de la manufacture sensiblement dans leur forme actuelle peu après leur acquisition par Louis Fréchette. (Insurance plan of the city of Quebec, volume 1, Underwriters’ Survey Bureau, 1957, BAnQ, Collection de Plans de villes et villages du Québec, cote inconnue)

Notes

[1] Ce bâtiment est situé au 688-694, rue Saint-Jean. On peut l’apercevoir ci-dessous à l’époque où il sert de pointe de vente aux produits du tabac de B. Houde et Cie.

Quartier Saint-Jean-Baptiste – Rue Saint-Jean – Carnaval, Philippe Gingras, Quebec . – 1894, BAnQ, Fonds Philippe Gingras, P585,D6,P21

[2] Les sources consultées ne précisent pas si B. Houde et Cie a été à l’origine de la construction du bâtiment ou s’il en a été l’acquéreur. Le nom de l’entreprise est associé à cette adresse à partir de 1890 dans les annuaires de Québec.

Vue du bâtiment construit ou acquis par B. Houde et Cie vers 1890. (Jérôme Ouellet, 2017)

[3] L’adresse unique cache le fait qu’il s’agit de deux bâtiments distincts. À l’époque de leur achat par B. Houde et Cie, ils comptent deux étages et demi chacun. Ils seront exhaussés d’un demi-étage dans la décennie suivant leur acquisition. L’un des bâtiments sera annexé à la manufacture à proprement parler et l’autre servira d’entrepôt.

Vue des bâtiments acquis par B. Houde et Cie en 1903 et 1914 et qui sont la propriété du gouvernement du Québec depuis 1956 . (Jérôme Ouellet, 2017)

[4] La filiale, renommée Imperial Tobacco Company of Canada en 1908, acquerra le fabricant L.O. Grothé de Montréal en 1938 et le fusionnera à l’entreprise fondée par Barthélemi Houde en 1942. Celle-ci deviendra alors la B. Houde & Grothé. Le nom d’entreprise disparaitra en 1970 à la suite d’une restructuration de la maison-mère.

Abréviations des centres d’archives

AVQ: Archives de la Ville de Québec

BAC: Bibliothèque et Archives Canada

BAnQ: Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Bibliographie

Annuaires de Québec, 1870-2016.

« 461 Rue Richelieu ». Fiche d’un bâtiment patrimonial. Ville de Québec, non daté.

« 480, Rue Richelieu ». Fiche d’un bâtiment patrimonial. Ville de Québec, non daté.

« 770 Rue Sainte-Claire ». Fiche d’un bâtiment patrimonial. Ville de Québec, non daté.

« Manufacture de tabac B. Houde & Cie ». Fiche d’un bâtiment patrimonial. Ville de Québec, non daté.

LEBEL, Jean-Marie. « Les tabacs B. Houde [,] gagne-pain du quartier », Cap-aux-Diamants, vol. 3, no 1 (printemps 1987), p. 71-74 (par l’entremise de erudit.org)

RUDY, Jarrett. « Manufacturing French-Canadian Tradition: tabac canadien and the Construction of French-Canadian Identity, 1880-1950 », Histoire Sociale/Social History, vol. 39, no 77, mai 2002, p. 205- 234. Traduction d’Hélène Paré.